dimanche 24 novembre 2013

Dans les cendres et les larmes du Paris-Opéra


On a beaucoup pleuré au procès de l’incendie de l’hôtel Paris-Opéra. Pas des longs sanglots monotones, mais des pleurs de colères, des cris de détresse, des larmes de rage. Huit ans et sept mois sont passés depuis la nuit du 15 avril 2005, mais les familles n’ont rien oublié. Contrairement aux prévenus, dont les approximations, les «je ne sais plus, ca fait longtemps» ont raisonné comme autant de claques de mépris pour les parties civiles.

Les deux premiers jours auront été ceux de l’incrédulité. Fatima Tahrour, qui reconnait avoir accidentellement mis le feu dans la salle des petits déjeuners, n’en dira pas plus. Les familles attendaient « la vérité », elles n’auront, face à elles, qu’un mur de silence. Quant à Nabil Dekali, veilleur de nuit alcolo et toxicomane, sa suffisance sidère. Evoquant un «feu de l’amour», ce colosse au visage barré de cicatrices dit regretter de ne pas avoir rejoint sa compagne cette nuit-là. «Rien ne serait arrivé». Ses remords s’arrêtent là.


A son troisième jour, le procès bascule dans l’horreur. Brutalement, la diffusion des images filmées par les sapeurs-pompiers la nuit du drame replongent les victimes dans l’insoutenable. Plusieurs hommes et femmes quittent les bancs des parties civiles en sanglots. Le lendemain, ce sont des victimes écorchées vives qui témoignent à la barre. Face au tribunal, Diabou Sylla, enceinte au moment du drame, hurle sa douleur. «Ca fait trop mal!» Son mari s’est défenestré devant elle; pour mettre ses enfants à l’abri des flammes, elle les a tenus près de la fenêtre, ils sont tombés. «Elle ne s’en remettra jamais, souffle son avocate, Emilie Bonvarlet. Sa douleur est comme au premier jour.» Tout comme celle de Mme Da Silva Mendès qui, depuis huit ans et sept mois, vient chaque jour se recueillir devant le 76 rue de Provence. Quand elle a tenté de monter sur le toit, avec ses jumelles de deux ans dans chaque bras, l’une d’entre elle a glissé. La seconde a refusé, pendant des jours, que sa mère ne l’approche. «Elle me reprochait de ne pas avoir sauvé sa sœur», lâche-t-elle avant de s’effondrer en larmes.

D’autres ont raconté la douleur de la culpabilité, le «syndrome du survivant» qui assiste, impuissant, à la mort de ses proches. «La blessure est profonde, a témoigné Adama Koné, dont la femme est décédée cinq jours après l’incendie, après avoir donné naissance à un enfant mort-né. Le seul espoir qui nous reste, c’est la justice, il faut qu’elle soit exemplaire.» Pour l’avocat de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accident collectif, Paris-Opéra «est l’une des pires catastrophes de la décennie. Pas par le nombre de morts mais par la souffrance extrême des victimes».

Pendant dix jours, le tribunal correctionnel de Paris, aura disséqué ces vies de misère, d’exil et d’exclusion qui se sont terminées dans les flammes de l’hôtel Paris-Opéra. Originaires de Cote d’Ivoire, du Cameroun, d’Algérie, la majorité de ces familles n’avaient pas de cartes de séjour. «Etre sans-papier c’est raser les murs, ne pas avoir le droit de travailler ni de postuler à un logement social ou privé, a témoigné Aomar Ikhlef, porte-parole de l’association des victimes. Etre sans-papier, c’est être déjà dans l’antichambre de ces hôtels meublés.»

Tout un système est mis en accusation.  Celui de la «défaillance des politiques du logement public», dénoncée à la barre par Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au Logement. «L’hôtel n’est pas une solution durable, a-t-il martelé. Il inclut un processus d’exclusion sociale pour ces familles.» Sur les bancs des parties civiles, pleins à craquer, on hoche la tête quand il lance: «Nous assistons, trop souvent, à la domination des gérants». Les familles se bousculent pour témoigner de cette emprise. «Si on a un problème avec le gérant, vos affaires sont descendues tout de suite sur le trottoir, raconte Adama Koné. Après il faut appeler le Samu social, qui vous change d’hôtel et vous perdez la crèche ou l’école. On est à la merci des hôteliers, monsieur le président.»

Ils sont là ces gérants, sur les bancs des prévenus. Froids, hautains, incapables de la moindre compassion. Le «système Dekali», ces «petits arrangements sur le dos des pauvres pour un résultat extrêmement lucratif», comme l’aura résumé une avocate des parties civiles, était très simple : les touristes logés dans les chambres des premiers et deuxièmes étages qui sortiront quasi tous indemnes de l’incendie et les familles pauvres entassées dans des chambres minuscules dans les étages supérieurs, qui périront brûlées vives ou défenestrées pour échapper aux flammes. Agés, malades, le couple assure dans un mauvais français que c’est par «humanité» qu’ils remplissaient l’hôtel au dessus de sa capacité maximale, pour «ne pas mettre des gens avec enfants à la rue».

Mais c’est bien leur «esprit de lucre» dénoncé par la procureure qui est à l’origine de cette suroccupation. Et qui n’est pas récent: en 2003, une association de protection de l’enfance avait mis l’hôtel Paris-Opéra sur sa liste noire après avoir constaté que les familles étaient mises à la porte pendant la journée pour ne pas consommer eau et électricité.

Vendredi, la procureure a requis la peine la plus lourde à l’encontre de Fatima Tahrour: trois ans de prison, dont deux ferme. Des peines importantes ont également été requises contre les époux Dekali - quatre ans de prison - et leur fils Nabil - trois ans - mais toutes assorties de sursis. «Je vous demande de vous dégager du poids de l’émotion», a plaidé Romain Boulet, l’avocat des gérants, pour qui le tribunal n’est pas chargé d’une réforme législative. Quant au défenseur de Fatima Tahrour, il refuse que sa cliente soit la «victime expiatoire» de ce drame. «Nous ne sortirons pas indemnes de ce procès», souffle-t-il. Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 23 janvier.

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