mercredi 17 décembre 2014

Procès Xynthia : les raisons d’une si sévère condamnation


Décision inédite en France. Pour la première fois, un tribunal a condamné des élus locaux à une peine de prison ferme pour un délit non intentionnel. Reconnu coupable d’homicide involontaire et de mise en danger d’autrui, René Marratier, maire de La Faute-sur-Mer (Vendée), a été condamné vendredi par le tribunal correctionnel des Sables-d’Olonne à quatre ans d’emprisonnement ; sa première adjointe, chargée de l’urbanisme, à deux ans et 75 000 d’amende – la somme maximale – ; son fils, agent immobilier, à dix-huit mois. La sanction, « historique », est à la hauteur de la catastrophe : dans la nuit du 27 au 28 février 2010, vingt-neuf personnes périrent noyées dans leur maison de bord de mer. Pour autant, cette décision pose quelques questions…


1- Un procès centré sur l’émotion des victimes

 

Durant les cinq semaines qu’a duré le procès Xynthia, le président du tribunal, Pascal Almy, n’a cessé de manifester son empathie envers les parties civiles. Leurs dépositions étaient ponctuées de compliments doucereux et déplacés du magistrat : « Vous avez fait preuve d’un sang-froid admirable. » Ou encore : « Bravo pour votre courage ! » René Marratier a, en revanche, été malmené, bousculé, interrompu par le président, qui l’a qualifié d’« autiste » dès les premiers jours du procès. S’il est primordial que la justice entende la douleur des victimes, celle-ci ne devrait pourtant pas prendre le dessus au sein d’un tribunal. « Juger, c’est comprendre », disait l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter. Or jamais, durant ce procès, le tribunal n’a donné le sentiment de vouloir entendre les explications des prévenus.

2- Des élus « malveillants » seuls responsables...

 

Les attendus du jugement sont cinglants, presque cruels, puisqu’ils rendent les trois condamnés seuls responsables de la mort de vingt-neuf hommes, femmes et enfants. Aucune circonstance atténuante ne leur est reconnue. « Les conséquences tragiques de la tempête Xynthia ne doivent rien au hasard, lit-on dans le jugement. Il ne s’agit pas d’un drame environnemental sur lequel l’être humain n’aurait pas eu prise. » Et le tribunal poursuit : « La tempête aurait dû passer à La Faute-sur-Mer comme en bien d’autres endroits en France ou en Europe, en laissant derrière elle son cortège de dégâts matériels plus ou moins considérables. Par les fautes pénales conjuguées des prévenus, il y a eu 29 morts, des blessés, des personnes traumatisées durablement. »

3- ... Et un État jugé « irréprochable »

 

Grand absent de ce procès, l’État, qui en sort totalement dédouané. Pour les magistrats, « l’État est impuissant quand il est confronté à la malveillance d’élus locaux qui n’ont de cesse de faire obstruction à des démarches d’intérêt général absolument indispensables ». Et en matière d’information sur les risques, « l’État est irréprochable, sauf à considérer qu’une commune est un organisme décérébré » ou « à en revenir à une vision jacobine de la fonction (de maire – NDLR), vers laquelle la période ne semble pas tendre ». Le seul agent départemental poursuivi a été relaxé. Certes, durant ses vingt-cinq années de mandat, René Marratier s’est opposé de façon systématique à toute initiative des services de l’État visant à protéger sa commune d’une inondation, mais une question se pose : un élu qui ne respecte pas les injonctions de l’État ne peut-il être arrêté avant la catastrophe annoncée ? Faut-il attendre la mort de vingt-neuf personnes pour critiquer son incurie ? La chaîne de responsabilités dans les conséquences de la catastrophe Xynthia est pourtant plus large. Pour des permis de construire illégaux, le préfet aurait, par exemple, pu saisir le tribunal administratif. Il ne l’a pas fait.

Cette condamnation du maire de La Faute-sur-Mer inquiète. Ainsi, l’Association des maires ruraux de France (AMRF) s’étonne que « toute la chaîne de responsabilités – du demandeur de permis de construire aux différents acteurs du dossier – ne soit pas concernée par ce jugement ». « Si les élus portent une lourde responsabilité, ils ne sont pas les seuls. Une grave question restera inscrite dans le marbre. Pourquoi l’État serait-il devenu désormais, semble-t-il, “intouchable” ? » s’interroge aussi le PCF de Vendée, qui s’inquiète que « les élus locaux portent de plus en plus de responsabilités, avec des moyens de plus en plus faibles ».

4 - La « manne » générée par le « petit coin de paradis »

 

Les trois prévenus n’étaient pas jugés pour prise illégale d’intérêts, ces poursuites ayant fait l’objet d’un non-lieu à l’instruction, faute d’éléments probants. Mais le profit généré par la construction de ces maisons en bord de mer a plané tout au long du procès de ce maire bâtisseur. Entre 1989 et 2010, plus de 2 500 pavillons ont été construits à La Faute-sur-Mer.

 La première adjointe, Françoise Babin, possédait la plus grande partie des terrains vendus. Son fils, lui aussi sur le banc des prévenus, Philippe Babin, les vendait en sa qualité d’agent immobilier. Un troisième – Philippe Maslin, également poursuivi, mais décédé au début du procès –, s’occupait de la construction. L’avocate des parties civiles, Corinne Lepage, qui avait dénoncé dans sa plaidoirie des élus « cupides », chiffre le montant des bénéfices de la vente des 200 terrains à quelque six millions d’euros… Une fortune relevée également par le tribunal dans son jugement : les prévenus « ont intentionnellement occulté (le) risque pour ne pas détruire la manne du petit coin de paradis, dispensateur de pouvoir et d’argent. Ils ont menti à leurs concitoyens, les ont mis en danger, les ont considérés comme des quantités négligeables, en restant confits dans leurs certitudes d’un autre temps ».

Les trois condamnés ont annoncé leur intention de faire appel ; un nouveau procès pourrait donc se tenir fin 2015, à Poitiers.

1 commentaire:

  1. J'ai assisté au procès et je suis atterré par ce que je lis de façon générale dans la presse. En aucune manière le président du tribunal, Pascal Almy, n'a traité M.Marratier d'autiste. Il lui a demandé s'il n'avait pas fait preuve d'autisme en refusant de tenir compte de l'histoire des catastrophes qui ont eu lieu à La Faute. Ce n'est pas la même chose !
    Je dirais pour expliquer la différence à ceux qui ne la verrait : "ca n'est pas parce que Toto a fait une connerie que Toto est un con !"

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