mercredi 28 janvier 2015

« Ils feraient mieux d’aller traquer les vrais terroristes ! »

Affreux terroriste ou simple maçon ? Fin novembre, dix kurdes comparaissaient à Paris pour extorsion avec violence, association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste et financement d’entreprise terroriste. Pour l’accusation, ces hommes sont des «gros bras» du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qui «frappent les mauvais payeurs dans les caves» et «recrutent des jeunes pour alimenter les bataillons de la guérilla». Pour la défense, au contraire, ces maçons, carreleurs, peintres en bâtiment sont de simples réfugiés politiques kurdes, la plupart mariés avec des enfants, «fatigués» par huit longues années d’injustes poursuites judiciaires.


La Cour d’appel de Paris devra trancher  aujourd’hui entre ces deux versions. Avec des faits qui remontent à dix ans et une instruction basée essentiellement sur des témoignages anonymes. Fin 2008, deux hommes portent plainte pour extorsion de fonds. Des kurdes, d’après eux affiliés au PKK, les auraient menacés de représailles s’ils ne donnaient pas 5000 euros pour l’un et 7000 pour l’autre. L’un affirme avoir reçu un coup au visage, qui se solde par un seul jour d’incapacité totale de travail. Mais après leurs plaintes, les deux hommes disparaissent dans la nature. «Les deux plaignants ne se sont pas constitués partie civile et n’ont répondu à aucune convocation», regrette Suzanne Bouyssou, avocate de l’un des prévenus.

Pour la défense, ce procès est à remettre dans le contexte des années Sarkozy, où les «descentes» contre les Kurdes étaient légion. «A partir de 2007, on a assisté à une multiplication des opérations avec des procédures souvent très longues, explique Me Sylvie Boitel, avocate de trois des prévenus. Ici, on est sur une affaire de 2009 déjà jugée, mais le parquet avait fait appel car les peines étaient trop faibles selon lui.» Memet Ulker, ancien président de la fédération des associations kurdes venu assister au procès, a comptabilisé 285 arrestations entre 2007 et 2011. Ces poursuites reposent principalement sur l’inscription du PKK sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. Une décision qui date de 2004 et qui suscite toujours de vives critiques. De nombreux élus (PCF, NPA, EELV et PS) s’y opposent. «Le retrait du PKK de cette liste est un impératif, insiste Sylvie Jan, présidente de l’association France-Kurdistan et membre du PCF. A cause de cette liste, des militants se retrouvent traînés en justice, c’est scandaleux. »

Il y a pire. Pour l’avocate Sylvie Boitel, les magistrats - qui savent bien que les procédures ne peuvent tenir uniquement sur l’inscription du PKK sur les listes terroristes - poursuivent désormais systématiquement pour un délit de droit commun. Extorsion de fond dans la plupart des cas. Ici, outre ce délit, on reproche aux prévenus d’avoir participé à la «kampanya», système de collecte en faveur du PKK. «Ils n’ont pas d’autres chats à fouetter? s’agace Fidan Unlubayir, présidente de l’association kurde Azadi. Il ferait mieux de poursuivre les vrais terroristes ! Le PKK est la seule force qui fasse reculer les fascistes de l’Etat islamique en Syrie.»

C’est l’une des nombreuses contradictions de ce procès. Alors que la France et les Etats-Unis livrent aujourd’hui des armes pour aider le PKK à combattre en Syrie les forces de «l’Etat islamique», les membres supposés de cette organisation sont poursuivis en France où ils risquent une lourde peine de prison. «Nous ne sommes pas chargés d’étudier la géopolitique, tente l’avocat général lors de son réquisitoire. Oui ou non, ces personnes ont-elles commis les infractions qui leurs sont reprochés? La situation d’aujourd’hui ne doit pas avoir d’incidence.»

Le ministère public tient dur comme fer à ce dossier qui permet, selon lui, «d’objectiver la façon dont le PKK agit à travers les différentes structures qu’il a mis en place en France, ici sa vitrine légale à Marseille : la maison du peuple kurde». Sauf que l’appartenance même des prévenus au PKK est loin d’être prouvée. Lors des perquisitions, ont été retrouvés chez eux, des «banderoles favorables au PKK», des drapeaux d’Öcalan, son leader et des «livres de propagande». Mais pour Me Boitel, «pour un kurde, avoir un drapeau d’Öcalan chez soi ne veut rien dire ! On veut leur faire un beau costume de militants du PKK, mais ils flottent dans ce costume trop grand pour eux». A la barre, les prévenus nient toute implication dans le parti. Tout en affichant leur soutien au PKK : «La relation entre un kurde et le PKK, c’est comme entre la chair et l’ongle, c’est indissociable», explique l’un d’eux, qui a fait onze mois de détention provisoire dans cette affaire. «Nous avons du respect pour Öcalan, mais nous ne sommes pas des terroristes du PKK», poursuit un autre. «Des militants du PKK ne se défendraient pas comme ça, assure Memet Ulker. Ce sont des pauvres gens, qui n’ont pas l’habitude de la justice. Des travailleurs du bâtiment qui bossent onze heures par jour pour gagner leur vie.» La plupart ont obtenu le statut de réfugiés après leur arrivée clandestine en France, au début des années 2000. Ils fuyaient les persécutions du gouvernement turc. Au procès, ils s’expriment dans un brouhaha permanent, entourés de trois interprètes. En turc…

«Nous nous sommes enfuis de Turquie pour venir ici, où nous sommes obligés de nous exprimer dans une langue que nous avons apprise sous la contrainte», regrette l’un d’eux à la fin du procès.

- Pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ?, interroge la présidente.

- L’audience aurait été renvoyée, ça nous coûte de l’argent de faire le voyage.»

L’avocat général a requis des peines extrêmement lourdes - jusqu’à quatre ans de prison ferme. Les avocats de la défense ont, eux, plaidé la relaxe, dénonçant les «approximations» et «incohérences» de l’instruction. L'arrêt est attendu à 13h30.

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