lundi 18 janvier 2016

Légitime défiance à l'égard du verdict de Bobigny

On ne saura jamais ce qu’il s’est passé entre 14 heures et 20h30, vendredi dernier, derrière les murs clos de la salle des délibérés de la cour d’assises de Bobigny. Six heures trente durant lesquelles les six jurés populaires et les trois juges professionnels ont décidé, à la surprise générale, d’acquitter le policier Damien Saboundjian. Une chose est sûre: il fallait une majorité qualifiée de six voix sur neuf pour déclarer le gardien de la paix en état de légitime défense et donc «pénalement irresponsable». Vu la longueur des délibérations, les débats ont dû être animés...
 
A 20h30, l’annonce du verdict par le président de la cour, dans une ambiance extrêmement tendue, a immédiatement déclenché huées, cris et slogans du côté des parties civiles et des collectifs contre les violences policières, venus assister au procès. «La police assassine, la justice acquitte!», scandaient plusieurs dizaines de personnes en direction des nombreuses forces de l’ordre présentes dans la salle d’audience - CRS en tenue et policiers en civil venus soutenir l’accusé. Ce dernier a été immédiatement exfiltré de la salle d’audience.

Si ce verdict étonne, c’est qu’il va à l’encontre des cinq jours de débats qui se sont tenus devant la cour d’assises de Bobigny. Damien Saboundjian était jugé pour avoir, le 21 avril 2012 à Noisy-le-Sec abattu Amine Bentounsi, un braqueur en cavale, d’une balle dans le dos. Poursuivi pour «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner», il encourrait une peine de vingt années d’emprisonnement. Le gardien de la paix est donc ressorti libre du tribunal vendredi soir, la cour ayant estimé qu’il avait agit en état de légitime défense. Cette version avait pourtant été largement mise à mal durant les débats.
 
De nombreuses zones d’ombre subsistent sur la soirée du 21 avril 2012. Et le doute a profité à l’accusé. Pourtant, en cas de légitime défense putative, la charge de la preuve incombe à la partie poursuivie. Or jamais durant son procès, Damien Saboundjian n’a réussi à prouver formellement qu’il avait été menacé par Amine Bentounsi ce soir-là. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que sa version des faits est émaillée de nombreuses invraisemblances.
 
Ce que l’on sait, c’est que ce soir là, vers 20h30, Damien Saboundjian s’est retrouvé seul à bord du véhicule de police pendant que ses trois collègues coursaient la future victime, un multirécidiviste en cavale dénoncé quelques minutes plus tôt par un appel anonyme à Police secours. A bord du véhicule dont la radio ne fonctionnait pas, «il s’est laissé envahir par cette situation de stress», a jugé l’expert psychologue Bertrand Phesans jeudi matin à la barre. Le gardien de la paix décide alors de faire le tour du pâté de maisons pour prendre le fuyard de court. «C’était une décision irréfléchie, a dénoncé l’avocat général Loïc Pageot dans son réquisitoire vendredi matin. Il aurait été plus sage d’attendre tout le monde, d’agir collectivement.»
 
A bord de la Renault Kangoo, Damien Saboundjian débouche dans la rue de la course poursuite, à quelques mètres du fuyard. Dans quel sens ? On ne le saura jamais avec certitude puisque la voiture, pourtant élément essentiel de la scène du crime, a été bougée par les policiers avant l’arrivée de l’Inspection générale des services (IGS, police des polices). Le policier assure qu’Amine Bentounsi l’a braqué alors qu’il était encore au volant, avant de reprendre la fuite. Une version qui n’est pas corroborée par un témoin qui regarde la scène de son balcon, quatre étages au dessus. Pour l’avocat général, «tout ça n’est pas très cohérent. D’où mon interrogation : Damien Saboundjian a t-il vraiment été braqué?» A la psychologue qui l’a rencontré pendant l’enquête, le gardien de la paix avait déclaré : «Si j’avais su qu’il avait une arme, je ne l’aurais jamais poursuivi». Et pourtant, il sort de la voiture pour tenter de rattraper Amine Bentounsi. Sans courir, assure t-il, ni sortir son arme.
 
Quelques mètres plus loin il voit - dans un «effet tunnel» qui lui fait, dit-il, oublier le reste de la scène - le visage et l’arme d’Amine Bentounsi pointée vers lui. Le policier sort son arme et tire quatre balles. L’une touche Amine Bentounsi en plein dos. Il mourra des suites de cette blessure, dans la nuit, à l’hôpital Georges-Pompidou. C’est sans doute sur cette partie que l’avocat général a été le plus convainquant lors de son réquisitoire: «Quand vous êtes face à quelqu’un qui est en train de vous braquer et que vous avez votre arme dans votre étui, le moins que l’on puisse dire, c’est que vous avez un temps de retard...» Pour Loïc Pageot, il est évident que Damien Saboundjian a couru l’arme à la main, contrairement à ses déclarations, mais conformément aux dires de plusieurs témoins. Deuxième incohérence de la version officielle: «Damien Saboundjian sort son arme et que fait Amine Bentounsi? Il se retourne?» Plusieurs témoins ont affirmé formellement à la barre qu’il n’avait «jamais» vu le fuyard se retourner vers le policier...
 
Pour toutes ces invraisemblances, l’avocat général ne croyait pas à la thèse de la légitime défense et avait requis une peine de cinq ans d’emprisonnement avec sursis. Surtout, il réclamait une interdiction définitive d’exercer le métier de policier car «tout démontre dans l’attitude de Damien Saboundjian qu’il manque de discernement».
 
L’issue de ce procès est d’autant plus préjudiciable à l’institution judiciaire que les débats avaient également mis en lumière les pressions exercées durant l’enquête pour qu’il n’ait pas lieu. Pressions des syndicats policiers défilant, sirènes hurlantes, sur les Champs-Elysées lors de la mise en examen de leur collègue ; pression du préfet Christian Lambert sur l’IGS pour «faire gicler» le lieutenant qui avait osé crier sur Damien Saboundjian durant sa garde à vue; pression politique en pleine campagne présidentielle, avec Nicolas Sarkozy promettant une «présomption de légitime défense» pour les policiers. Jusqu’à la barre de la cour d’assises où, jeudi après-midi, le porte-parole d’Unité SGP police-FO, Nicolas Comte, cité comme témoin par la défense, était venu dire aux jurés: «Les policiers de la France entière vous regardent»...
 
Dans la même veine, Me Daniel Merchat, avocat du policier, avait plaidé pour ces forces de l’ordre portées aux nues après les récents attentats à Paris : «Qu’est ce qu’on doit comprendre? Que lorsqu’un individu dangereux est sur la voie publique, les policiers doivent se mettre à l’abri? Ca, je ne peux pas l’entendre, c’est inacceptable », avait-il plaidé, assurant parler «sous le contrôle de tous les policiers présents» dans la salle.
 
L’avocat général Loïc Pageot s’est aussi adressé à eux lorsqu’il a terminé son réquisitoire par ces mots d’apaisement : «C’est le travail de la police d’interpeller les délinquants, ils méritent notre respect et notre soutien. Mais pas à n’importe quelle condition. Vous devez rendre une décision qui ne peut pas être interprétée comme un permis de tuer». La cour d’assises de Bobigny ne l’a malheureusement pas entendu.

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