mardi 3 octobre 2017

Abdelkader Merah, entre silences et violences

Est-ce de la maladresse ou un stratagème ? Devant la cour d'assises spécialement composée qui le juge depuis lundi pour complicité des crimes de son frère, Abdelkader Merah esquive les questions qui fâchent avec une impressionnante maîtrise de lui-même. L'homme de 35 ans, tout de blanc vêtu, barbe fournie et cheveux longs attachés, est aidé en cela par l'organisation du président de la cour qui a séparé l'examen de sa personnalité et celui des « questions religieuses ». Au grand dam de l'avocat de l'accusé, Eric Dupond-Moretti, qui peste : « On fait de la religion un élément à charge ! ». Mais Abdelkader Merah s'adapte, lui, parfaitement aux circonstances. A une avocate qui lui demande s'il se sent concerné par les lois de la République ou s'il refuse, comme il l'a dit lors de l'instruction, « la justice des hommes », il lance un : « Ce sont des questions religieuses que nous verrons plus tard ». Parfois à la limite de l'arrogance, il surfe en permanence sur l’ambiguïté. Aux questions insistantes des parties civiles, il finit par lâcher : « J'aimerai mon petit frère toute ma vie, mais bien sûr je condamne les actes qu'il a commis ». Mais lorsqu'un avocat lui demande s'il s'est réjouit des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, il invoque son droit au silence

Le silence a été dans la famille Merah un élément central, presque constitutif. Au président, qui tente de démêler l'histoire et les relations familiales, Abdelkader lance, depuis le box en verre des accusés : « Il ne faut pas comparer votre mode de vie et le nôtre. La culture en Algérie, c'est que les parents ne parlent pas de leur vie, ils ne montrent pas leur amour. Mon père, il ne parlait pas, mais juste par son regard, je voyais qu'il y avait de l'amour. » L'enfance des Merah est marquée par le divorce des parents en novembre 1993. Abdelkader a onze ans, Mohamed cinq. « Avant, c'était parfait, après chaotique », résume Abdelkader avec son accent du sud-ouest. Ses parents ont quitté l'Algérie quelques années plus tôt – il est le troisième d'une fratrie de cinq, le premier né en France – pour s'installer dans le quartier des Izards, à Toulouse. Son père travaille dans une fonderie, sa mère fait des ménages.

« Antisocial, hyperactif, insolent, grossier, instable »
Après la séparation houleuse des parents (la mère s'est réfugiée un temps avec ses enfants dans un foyer de femmes battues, Abdelkader dit n'avoir rien vu de ces violences), la famille se brise. « Il n'y avait plus de code », dit Abdelkader. « A partir du moment où le père, pilier de la famille, s'en va, il y a déstabilisation », traduit l'avocate générale. Le frère aîné, Abdelghani Merah (qui dénonce régulièrement sur les plateaux télé l'antisémitisme et la « haine » de sa famille) « tombe dans la délinquance et l'alcool » et entraîne Abdelkader avec lui. « A onze ans, je commençais à boire de l'alcool avec lui, fumer du shit, voler. C'était mon modèle, je faisais tout comme lui. Il me frappait mais j'avais un amour sans limite pour lui. » La mère, seule et dépassée, réclame de l'aide. Déclarés en danger, Abdelkader et Mohamed sont placés en foyers. L’adolescence de l'accusé se lit sur les rapports de l'aide sociale à l'enfance : un « enfant en grand désarroi, qui pleure souvent », un garçon « décidé, intelligent » qui « voit le monde comme un ring où il faut se battre », « la mère n'a aucune autorité et subit les caprices de son fils ». Pour un psychologue, il est « antisocial, hyperactif, insolent, grossier, instable ». Les éducateurs notent un « malaise par rapport à l'absence du père et une autorité maternelle jamais posée ». Il est « exemplaire la semaine », mais « alcoolique et violent le week-end » quand il rentre chez sa mère, qu'il frappe. « Je n'ai jamais touché ma mère, répond posément l'accusé. Ma mère à mes yeux, elle est parfaite. Elle a donné toute sa vie pour nous. »

Les relations familiales sont d'une violence extrême. Son frère Mohamed ? « Au lieu de l'engueuler, je lui tapais dessus », reconnaît l'accusé. En 2003, il poignarde son grand frère Abdelghani de sept coups de couteau. « Il ne supportait pas ma femme française d'origine juive », déclare son frère aîné à l'époque. « On s'entendait très bien au contraire », se défend aujourd'hui Abdelkader. Il ne parle plus non plus à sa sœur Souad, depuis neuf ans, lorsqu'elle s'est mariée sans l'inviter, « un manque de respect ».
« Ou est-elle aujourd'hui ?, interroge le président.
- En Algérie.
- Vous êtes sur ?
- Vous aussi vous êtes sûr, tout le monde le sait. »
En 2014, Souad Merah avait tenté de rejoindre la Syrie avec ses enfants.

Surnommé le « grand Ben Ben » pour Ben Laden
Dans le quartier des Izards, Abdelkader Merah est surnommé « le grand Ben Ben » et Mohamed « petit Ben Ben ». « Au moment des attaques du World trade center, j'avais vingt ans, je n'étais pas musulman, une grande partie du quartier était euphorique et moi aussi je criais 'Vive Ben Laden !' », avait-il expliqué pendant l'instruction. A l'audience, il tente de minimiser : « A une autre époque, on aurait crié Vive Mesrine ». Puis, à l'avocate générale qui insiste : « Certains disent que le 11 septembre, c'est un complot, je ne sais pas si Ben Laden existe ou pas ».

A 17 ans, Abdelkader Merah obtient son CAP de peintre en bâtiment, travaille comme intérimaire. En 2006, il se marie « religieusement » (par téléphone) avec une « fille du quartier ». On le surnomme alors « Jack Daniels » pour son addiction au whisky. Il se « convertit à l'Islam », part s'installer à l'écart de la ville, pour fuir « les pêchés » et ne « vole plus un bonbon ». A part, avoue t-il penaud, quelques fausses factures pour financer des prêts à la consommation, un « dérapage dans son parcours religieux ». Sinon, il n'écoute pas de musique, n'utilise pas internet, n'a pas de portable. Il lit. Une «passion ». Dévore aussi bien des « livres religieux » que ceux « de gangsters ». En ce moment, il lit « Le pull-over rouge », contre-enquête de Gilles Perrault sur le condamné à mort Christian Ranucci.

En détention depuis cinq ans et six mois, Abdelkader Merah est à l'isolement depuis cinq ans. Pour le protéger de « risques sérieux de représailles », mais aussi à cause de son « prosélytisme », selon l'administration pénitentiaire. « Je ne connaissais pas ce mot, j'ai regardé la définition : imposer des idées. Mais l'islam ne s'impose pas, il se transmet. Moi je m'adapte simplement aux conversations des personnes. » L'interrogatoire sur l'aspect religieux de sa personnalité est prévu pour le vendredi 13 octobre.

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