jeudi 14 avril 2016

Au procès des pirates somaliens, la justice évite de peu le naufrage

Ce n'est pas le naufrage redouté. Mardi, lors de sa plaidoirie, Martin Reynaud, avocat de l'un des sept pirates somaliens jugés depuis quinze jours devant la cour d'assises de Paris, avait cité ces mots des Misérables de Victor Hugo : « Il y a dans notre civilisation des heures redoutables ; ce sont les moments où la pénalité prononce un naufrage ». Les six jurés populaires - trois hommes et trois femmes - et les trois magistrats professionnels l'ont semble t-il entendu en ne suivant pas les lourdes réquisitions de l'avocate générale. Alors que la représentante du ministère public avait réclamé de seize à vingt-deux ans de réclusion criminelle, les sept pirates somaliens - qui risquaient la perpétuité - ont été condamnés hier soir à des peines de six à quinze ans d'emprisonnement. « Un verdict sévère, mais pas disproportionné », résume Martin Pradel, avocat de la défense.

Après neuf heures de délibéré, le président Philippe Jean-Draeher a longuement égrené la liste des 55 questions auxquelles la cour devait répondre. Sans surprise, les accusés ont tous été déclarés coupables de détournement d'un navire en bande organisée ayant entraîné la mort, d'enlèvement et séquestration en bande organisée, de vol avec arme en bande organisée mais ont été acquitté du chef d'association de malfaiteurs. Sans doute, la cour a t-elle considéré que ces hommes n'étaient pas les « pirates d'habitude » décrits par la représentante du ministère public.

En pleurs à l'énoncé du verdict
Le plus jeunes des accusés, Fahran Abchir Mohamoud, 16 ans au moment des faits, jugé comme un majeur, devenu schizophrène durant ses quatre ans et demi de détention provisoire, opéré à son insu d'un poumon, a été condamné à la peine la plus légère : six années de prison, très loin des réquisitions de l'avocate générale qui avait réclamé vingt ans et une interdiction définitive du territoire français. Son avocate Me Élise Arfi avait livré une belle plaidoirie en citant L'homme révolté d'Albert Camus : « Au fond des prisons, le rêve est sans limites » : « Fahran n'a qu'un rêve : retourner en Somalie ». A l'énoncé du verdict, l'avocate et le jeune accusé, tous deux en pleurs, se tenaient la main à travers les ouvertures de la paroi de verre du box des accusés.

Les autres peines prononcées s'étalent de onze à quinze ans d'emprisonnement, sans que la hiérarchie de ce quantum ne soit très évidente à comprendre... Quinze ans pour Ahmed Akid Abdullah, qui avait dépouillé Évelyne Colombo de ses bijoux - notamment de son alliance - en braquant son arme sur elle. Un acte dénoncé comme « particulièrement cruel » par l'avocate générale. Quinze ans aussi pour Farhan Abdissalam Hassan, qui s'était évanoui pendant les débats à cause d'une rage de dents non soignée depuis 45 jours. Il était pourtant l'un des seuls à s'être rendu lors de l'attaque des militaires espagnols. Mais avait été retrouvée dans son short une carte sim « en lien avec la piraterie somalienne » d'après l'accusation. Mohamed Ahmed Hersi, chargé de la surveillance d’Évelyne Colombo durant les deux jours sur le skiff et qui avait braqué une kalachnikov sur la tempe de la veuve lors de l'assaut espagnol est condamné à quatorze années de prison. Treize ans pour Brug Ali Artan, surnommé « le boiteux », un «repenti» pour l'avocate générale qui avait requis la plus lourde peine contre lui – 22 ans. Enfin, Mohamed Mousse-Farah, qui avait un temps tenu la barre du skiff des pirates et Saïd Ahmed Djama, caché dans une trappe tout au long de l'expédition, sont condamnés à onze ans d'emprisonnement.

Un goût de justice inachevée
A l'énoncé du verdict, comme durant les deux semaines et demi d'audience, Évelyne Colombo assise très droite sur le banc des parties civiles, n'a pas eu un regard vers le box des accusés. Plus tôt dans la journée, la veuve de Christian Colombo avait publié ces mots sur facebook : « Cela fait un peu plus de quatre ans que notre verdict est tombé... Perpétuité sans réduction de peine possible. Il y aura un verdict aujourd'hui, il ne nous satisfera pas ». Jusqu'au bout, malgré les excuses répétées et parfois en pleurs des accusés, Évelyne Colombo a refusé son pardon à ces « assassins » dont elle ne voulait pas croiser le regard.

Si les peines prononcées hier soir paraissent moins scandaleuses que les réquisitions, ce procès qui sera sans doute le dernier de pirates somaliens en France, laisse malgré tout un goût amer, celui d'une justice inachevée. Ni le président de la cour, ni l'avocate générale, ni les parties civiles n'ont semblé vouloir comprendre d'où venaient les sept hommes assis dans ce box à 7000 kilomètres de chez eux. Les experts géopolitiques cités par la défense sont renvoyés dans leurs cordes. Les circonstances dans lesquelles ces sept accusés ont commis leur crime sont jetées aux oubliettes. Pas un mot, pendant les deux semaines et demi de débats, sur la piraterie, à son apogée en 2011, ni sur ses causes dans un pays sans état, ayant sombré depuis longtemps dans le chaos.

Devenus pirates pour « ne pas mourir de faim »
Loin du mythe des flibustiers sanguinaires, les accusés ont raconté leur vie misérable dans une somalie chaotique. Ils étaient pêcheurs, cueilleur d'encens, chauffeur de taxi ou apprenti mécanicien, gagnaient quelques dollars par mois et sont devenus pirates pour « nourrir leurs enfants » ou « ne pas mourir de faim ».

Mais « il n'existe pas de crime alimentaire » avait asséné lundi l'avocate générale Sylvie Kachaner dans son réquisitoire. Et de se lancer dans un parallèle douteux avec les Kényans champions du marathon de Paris : « Comment les qualifieraient-on ? Faméliques ? Nous sommes tous obèses. » Comble du cynisme, l'avocate générale avait requis l'interdiction définitive du territoire français pour tous les accusés. Si ces derniers n'ont jamais demandé à venir en France, certains veulent aujourd'hui rester. Inexpulsables, la Somalie étant un pays en guerre, mais interdits de territoire, ils se seraient retrouvés dans un no man's land judiciaire dès le seuil de la prison franchie. La cour n'a prononcé aucune interdiction du territoire.

Au milieu de ce marasme judiciaire, les plaidoiries des avocats de la défense - tous commis d'office - auront été salutaires (lire « Quel est le sens d'une justicequi juge les restes d'un homme ? »). « Quel est la juste peine ? » se sont interrogés plusieurs d'entre eux, quand les réquisitions sont les mêmes pour ces pirates qui ne sont pas poursuivis pour la mort de Christian Colombo que pour le braqueur multirécidiviste Rédoine Faïd, accusé du meurtre d'une policière municipale et jugé à quelques mètres de là ; quand le génocidaire Pascal Simbikangwa a été condamné il y a deux ans dans cette même cour d'assises à 25 ans de réclusion criminelle.

« Une justice dure avec les étrangers ? »
« Veut-on une justice dure avec les faibles ? Tendre avec les nôtres et dure avec les étrangers ? » s'interroge Me Thomas Heinz qui évoque quant à lui l'affaire du gang des barbares, « l'une des plus horribles de ces dernières années » et ses condamnations de cinq à dix-huit ans de prison. « C'est une folie, lance t-il à l'avocate générale, de demander seize ans de prison pour un homme qui ne faisait qu'écoper et qui ne savait pas ce qu'il allait faire dans cette galère. » Son client, Mohamed Mousse-Farah, a été condamné hier soir à onze ans d'emprisonnement.

Hier matin, alors que le président de la cour leur donnait la parole pour la dernière fois, les sept hommes agglutinés dans le box se sont levés les uns après les autres, pour présenter encore une fois et avec l'aide des interprètes, leurs excuses à « Mme Colombo ». Plusieurs ont demandé à leurs juges d'être « indulgents ». Brug Ali Artan s'est effondré en pleurs après avoir présenté ses excuses aux victimes : « J'ai tellement envie de voir ma famille et mon pays ». Il a été condamné hier soir à treize ans de prison.

En terminant sa plaidoirie, Me Martin Reynaud avait rappelé que les pirates somaliens ne bénéficieraient sans doute d'aucune libération anticipée, n'ayant pas de garanties de représentation en France. Il avait alors eu ces mots pour les jurés : « Je vous demande de penser à jeudi matin, ce sera le premier jour du reste de leur peine. Et ce sera long ». Son client a été condamné à quinze ans de prison.

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