mercredi 7 septembre 2016

Au procès Cahuzac, la thèse d'un trésor de guerre pour Rocard se fissure

Le procès sur les mensonges de Jérôme Cahuzac, poursuivi pour fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et fausse déclaration de patrimoine, pourra certainement éclairer les futurs étudiants en droit sur le concept de « vérité judiciaire ». « La vérité que j'ai décidé de dire n'est pas une stratégie, tente l'ancien ministre du Budget à la barre. La vérité, c'est la vérité. » Aimablement, le président de la 32ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, Peimane Ghaleh-Marzban, chargé de le juger jusqu'au 15 septembre, le reprend : « Je ne veux pas être intrusif sur le rapport à la vérité M. Cahuzac, mais l'invoquer dans un dossier où il y a des évolutions de propos peut être... complexe. »

Ce matin, les débats sont revenus sur la « vérité » révélée par Jérôme Cahuzac à l'ouverture de son procès, lundi. L'ancien ministre du Budget avait alors affirmé que son compte ouvert en Suisse en 1992 avait servi à dissimuler le financement occulte des activités politiques de feu Michel Rocard. Mais Jean Marc Toublanc, le vice-procureur du parquet national financier, n'y croit pas. « Après sa défaite historique (aux élections européennes de 1994, NDLR), des laboratoires pharmaceutiques sont prêts à donner un demi-million à Michel Rocard ? » « Un pari sur l'avenir », tente Jérôme Cahuzac.

Depuis qu'il a mis en cause les rocardiens, lundi après-midi, il ne cesse pourtant de botter en touche. Le nom de son mystérieux donneur d'ordre ? « Je ne répondrai pas aux questions nominatives, cette époque est révolue. » Quels laboratoires pharmaceutiques ont mis la main au portefeuille ? Le prévenu ne cite qu'un seul nom, déjà dans la procédure, le laboratoire Pfizer. Le président du tribunal s'agace : « Concrétisez votre parole, M. Cahuzac. Il faut l'accréditer si cela est vrai ». « Je m'y efforce, répond Jérôme Cahuzac, qui ne quitte pas son ton glacial. Même si cela paraît maladroit ou difficile à admettre. »

Difficile, en effet, de comprendre comment les Rocardiens ont pu constituer un tel trésor de guerre sans y toucher une seule fois...
Le président : « Cet argent doit servir au financement de la structure, mais il n'est pas mobilisé, pourquoi ?
- Soit les besoins n'étaient pas ceux là, soit d'autres ressources ont été trouvées. Je n'ai pas été le seul à faire ça, j'en ai la conviction. »
En 1993, Jérôme Cahuzac transfert les fonds du compte ouvert par son « ami » Philippe Péninque, aujourd'hui proche de Marine Le Pen, à la banque Reyl. « Par loyauté envers Philippe Péninque, j'ai décidé de prendre un compte à mon nom, explique aujourd'hui l'ancien ministre socialiste. Je ne vois pas pourquoi Philippe Péninque aurait pris des risques pour un parti qui n'est pas le sien, contre lequel il se bat, juste par amitié pour moi. » Quand la banque lui demande un nom de code, Cahuzac choisit « Birdie », « plus en référence au chanteur de jazz Charlie Parker qu'au golf », explique t-il aujourd'hui, gêné, bien obligé de reconnaître que « tout ceci est ridicule ». 

Le compte suisse ne connaît pas de mouvement jusqu'en avril 2000 et juillet 2001, lorsque deux versements en espèces apparaissent sur le compte : 105 000 et 91 150 francs suisses (environ 70 000 et 60 000 euros à l'époque). A la barre, Jérôme Cahuzac explique avoir opéré, comme chirurgien d'implants capillaires, une « dizaine de patients », à l'étranger, durant « une demi-semaine ». « Je suis payé en espèces, c'est beaucoup d'argent. Je n'ose pas rentrer en France avec tout cet argent que j'aurais dû déclarer à la douane. Je téléphone donc à la banque Reyl pour placer l'argent. En quatre, cinq heures, ils sont sur place. Ça a été assez simple. »

« Ça ne constitue pas un frein d'être parlementaire ? », lui demande le président (Jérôme Cahuzac a été élu député en 1997).
- La vérité m'accable d'autant plus qu'elle se répétera l'année suivante.
- Est-ce que vous n'êtes pas effaré de ce que vous faites ?
- Au fond, non. »
Le président insiste : « Mais vous pensez à quoi à ce moment-là ? En tant que parlementaire ?
- Souhaitez-vous que je m'accable davantage ? Je reconnais ce que j'ai fait, j'essaye de l'assumer.
- Voyez-vous M. Cahuzac, on ne peut sonder les cerveaux, les âmes et les cœurs. Notre responsabilité va être de savoir ce que l'on va faire de tout ça. La question est : Monsieur Cahuzac est-il un homme cynique, duplice, d'une froideur incroyable, pouvant faire une chose et son contraire ? Ou un homme avec d'autres difficultés ? C'est pour cela que nous vous poussons dans vos retranchements...
- Il y a en moi quelqu'un qui a fait ça, ça a révélé cette part de moi-même dont j'aurais voulu qu'elle n'existe jamais. »

L'introspection n'ira pas plus loin. Mais l'impressionnante carapace de Jérôme Cahuzac semble se fissurer à l'évocation d'un dernier point : pourquoi a-t-il donné procuration à sa femme sur le compte suisse censé cacher le butin rocardien ? Un long silence, puis l'ancien ministre reprend son souffle et se lance : « J'ai des comportements à risque. Sur le plan sportif. Je fais de la chasse sous-marine à des profondeurs conséquentes. Je fais de la randonnée et la montagne peut être dangereuse. S'il m'arrive quelque chose, qu'est-ce qu'il se passe ? » « Pourquoi ne pas mettre le nom d'un autre proche de Michel Rocard ? » s'étonne le vice-procureur. « Ils auraient refusé, répond le prévenu. J'ai la conviction que ma femme aurait donné l'argent si quelqu'un le lui avait demandé. » Patricia Ménard, ex-épouse Cahuzac, devrait être entendue demain.

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