Les cris rauques résonnent dans la 10e
chambre du tribunal correctionnel de Paris. :« Lève toi !
Lève toi ! ». Dans une vidéo de onze secondes, trois
policiers casqués interpellent un lycéen à terre. Celui-ci, sac
sur le dos, se relève avant de prendre un violent coup de poing au
visage. La mère de l'adolescent, aujourd'hui sur le banc des parties
civiles, cache son visage dans ses mains.
- « Qui demande au lycéen de se lever ?, demande la présidente du tribunal.A la barre, loin de la brutalité de ces images, le policier de 26 ans présente bien : costume cravate, ton extrêmement poli. « C'est un malheureux concours de circonstances, se justifie t-il. J'ai senti ses doigts sur la jugulaire de mon casque, j'ai voulu donné un coup proportionné au plexus, mais il a été poussé vers l'avant. Je ne voulais pas le frapper au visage ». Et d'ajouter : « Je ne me serais jamais permis de commettre des violences, sachant que nous sommes filmés en permanence. »
- C'est moi », reconnaît le gardien de la paix Sofiane O. qui comparait pour violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique.
- « Lui avez-vous demandé s'il avait mal ?, poursuit la présidente.- Il était conscient oui, mais il n'a rien dit, il y avait juste quelques gouttes de sang (à l'arrière de son crâne après sa chute, NDLR).- C'était plutôt une flaque », précise la juge, cinglante.
Le lycéen de quinze ans est ressorti
de cette manifestation avec un nez fracturé, une légère plaie à
l'arrière du crâne, plusieurs ecchymoses et six jours d'incapacité
totale de travail (ITT).
Interrogés par l'IGPN (la police des
polices), les collègues de Sofiane O. ont tous nié avoir vu un
« acte de violence ». Le gardien de la paix, lui-même, a
d'abord nié le coup de poing, avant de « largement modifié »
sa « version des faits après avoir vu la vidéo »,
relève la présidente du tribunal. A l'avocat du
jeune qui lui demande ce qui se serait passé si la scène n'avait
pas été filmée, le policier a l’honnêteté de répondre :
« J'avais l'intention de porter plainte ».
Le 24 mars au matin, en plein mouvement
contre la loi travail, plusieurs dizaines d'élèves bloquent le
lycée Bergson dans le 19e arrondissement parisien. La brigade de
Sofiane O. est dépêchée sur place. Les policiers disent avoir dû
gérer une « foule de 300 jeunes hostiles » et essuyé
des « jets de pierre, de bouteille, de pavés ». Dans les
vidéos visionnées durant l'audience, les lycéens paraissent au
contraire calmes, « obéissant aux ordres de dispersion »,
relève une représentante de la FCPE à l'audience, qui note que
« pour beaucoup, c'était la première fois qu'ils avaient une
prise de conscience politique ». « Nous étions très peu
en effectif pour encadrer de manière correcte la manifestation,
explique pourtant Sofiane O. Nous ne sommes pas formés au maintien
de l'ordre. On se débrouille... On n'a pas de protection, à part
des casques défaillants hors d'usage, un bouclier par équipage... ».
- « Ce sont des œufs, lui répond la présidente. Certes, ça n'est pas très agréable mais physiquement, est-ce que ça présente un réel danger ? »- Il y avait aussi des jets de cailloux.- Comment se fait-il que vous n'ayez pas précisé dans votre rapport et à l'IGPN que ce jeune homme avait lancé des cailloux ? ».
Sofiane O. assure aussi que les lycéens
jetaient vers les forces de l'ordre des « paquets de farine
enflammé ». « Le tribunal n'a jamais essayé de mettre
le feu à un paquet de farine, comment fait-on ? »
ironise, visiblement sceptique, la présidente.
« Dans cette affaire nous avons
le schéma classique des violences policières illégitimes, plaide
Me Alimi, avocat de l'adolescent. Un systématisme dans le mensonge,
la manipulation et l'omerta. Tous les policiers interrogés n'ont
rien vu ! Mon client a 15 ans, c'est un enfant, il a droit à la
vérité. ».
Le procureur lui-même ne peut faire
autrement que de dénoncer une « vidéo choquante » :
« par l'illégitimité des faits et le jeune âge de la
victime ». Mais précise que « les faits ne se résument
pas à onze secondes de violence brute » : « M. O. a
probablement paniqué au moment des faits ». Il requiert six
mois de prison avec sursis sans inscription au casier judiciaire :
autrement dit pas d'exclusion de la police pour le fonctionnaire. Le
représentant du ministère public met en avant un « parcours
irréprochable et un fonctionnaire conscient de la gravité de son
geste ».
La défense demande une requalification
des faits en violences involontaires, punis d'une contravention de
cinquième classe (1500 euros) au lieu des trois ans de prison et 45
000 euros d'amende risqués pour des violences volontaires. « Faut-il
condamner mon client pour une absence de formation ? »
interroge Me David Kahn, qui regrette qu'on « l'envoie à la
guerre avec un casque et un bouclier ».
Depuis le 24 mars, Sofiane O. n'a subi
aucune sanction disciplinaire. Interdit d'exercer sur la voie
publique par son contrôle judiciaire, il a simplement été muté...
aux caméras de surveillance.
Le jugement a été mis en délibéré au 23 novembre.
Bonjour,
RépondreSupprimerje trouve cette réponse à la fois révoltante et révélatrice :
« Je ne me serais jamais permis de commettre des violences, sachant que nous sommes filmés en permanence. »
A priori personne ne l'a relevé : et si ce policier avait été certain de ne pas être filmé que se serait-il autorisé ?
Cdt,
hatori.