jeudi 15 juin 2017

La déontologie des avocats s'invite au procès de Sidney Amiel

Comme les bacheliers, la cour d'assises de Versailles a planché aujourd'hui. Sujet du jour : la déontologie des avocats, option conflit d'intérêt. Un avocat peut-il défendre un accusé quand il a eu entre les mains, quelques années auparavant, la plainte d'une salariée pour harcèlement moral contre ce même accusé ? Cette question a failli ajourner le procès de Sidney Amiel accusé de viol et d'agressions sexuelles, un procès fleuve prévu pour durer trois semaines avec une centaine de témoins entendus.

Sans doute, Laurence (1) ne pensait pas que son témoignage devant cette cour créerait un tel remue-méninges. Il est passé midi quand cette ancienne collaboratrice de Sidney Amiel est appelée à la barre. Elle a intégré le cabinet en 2005. Comme d'autres témoins auparavant, elle raconte « les mains sur l'épaule, la main, la cuisse » de cet associé qui avait « trois ans de plus » que son père. « Ça n'a jamais été au delà en ce qui me concerne, mais j'ai été témoin d'un fait » : elle aurait vu Sidney Amiel plaquer une secrétaire contre un mur et tenter de l'embrasser. « Il faudrait vraiment que tu penses à te faire soigner », lui aurait lancer la secrétaire en le repoussant.

Puis cette avocate aujourd'hui âgée de 39 ans, raconte sa volonté d'entamer une procédure pour harcèlement moral contre le cabinet Amiel. Elle a été licenciée en 2006, du jour au lendemain, dit-elle, « sans explications », son bureau avait été vidé, ses « affaires roulées en boule ». « Je ne peux rien faire, il y a un vice de procédure », lui aurait répondu le bâtonnier de Chartres avant de l'orienter vers un confrère, ancien bâtonnier du barreau de Versailles, Me Frédéric Landon.

Silence dans la cour d'assises. Les regards se tournent vers le banc de la défense où Me Landon défend Sidney Amiel. L'avocat n'y est pas, retenu par une autre audience ce matin et c'est son jeune collaborateur, Hector Lajouanie, qui blêmit et tente de prendre la parole. « Plus tard », le coupe la présidente de la cour, Sophie Clément. « Me Landon m'a dit ''On va régler ça en interne'' et je n'ai plus jamais eu de ses nouvelles, je n'ai jamais pu récupérer mon dossier », poursuit Laurence. Elle traverse ensuite une dépression et de grosses difficultés financières, « j'ai même dû manger aux restos du cœur ».

La juge assesseur reprend:
- « Me Landon vous a dit qu'il allait régler ça en interne ?
- Oui.
- Et vous avez tenté de le recontacter ?
- J'ai essayé de l'appeler, je lui ai envoyé des courriers, je n'ai jamais eu de réponse. Je pense qu'il a voulu noyer le poisson.
- Savez-vous que Me Landon est aujourd'hui l'avocat de l'accusé ?
- Oui. »

Dans un silence de plomb, Me Pierre-Ann Laugery (actuel bâtonnier du barreau des Hauts-de-Seine et avocat d'une partie civile) se lève : « Nous sommes dans un moment particulier. Me Landon a été mis en cause, il faut qu'il puisse s'exprimer. On ne peut pas laisser son jeune collaborateur seul dans cette galère».

Après la pause méridienne, l'experte qui devait témoigner par visioconférence est vite congédiée. De retour, Me Landon, le visage grave, prend la parole :
« Je n'ai aucun souvenir du dossier de Mme, commence t-il. Mais j'estime que je ne suis plus crédible dans la défense de Sidney Amiel. Ma loyauté pourrait être discutée, il en va des droits à la défense de mon client. A chaque fois que je vais me lever, on se dira que, peut être, je sais quelque chose que je n'ai pas dit. On laisse entendre que j'aurais pu manipuler le cours de la justice, ça me heurte, mais c'est mon ego. L'enjeu ici est la culpabilité ou pas de M. Amiel. Je demande instamment à la cour de renvoyer cette affaire pour que mon client puisse être défendu. J'en suis désolé à l'égard de tout le monde, mais je ne peux pas faire autrement. »
Sur les bancs des parties civiles, Françoise qui a témoigné mardi matin du viol qu'elle a subi en 2003, s'effondre. « Le renvoi de ce procès serait ajouter de la douleur à la douleur, plaide son avocat Pierre-Ann Laugery, pour qui « il n'y a pas de rupture d'égalité des armes ». « Nous sommes tous tétanisés, poursuit l'avocat. Le conflit d'intérêt n'est plus là. » Me Agnès Cittadini, qui défend Nadia, la première à avoir porté plainte contre Sidney Amiel en juillet 2010, ajoute que sa cliente « s'oppose fermement au renvoi » : « C'est insupportable pour elle d'imaginer que tout puisse s'arrêter ».

A son tour, l'avocat général se prononce contre le renvoi du procès. « L'organisation d'un nouveau procès demanderait des années, dit-il. Me Landon et Sidney Amiel se sont-ils tout dit ? Cela ne nous regarde pas. »

Il faudra une demi-heure à la cour pour statuer : « Le renvoi de l'affaire n’apparaît pas nécessaire » tranche la présidente qui se tourne vers Frédéric Landon : « Au cas où vous refuseriez d'assurer la défense de M. Amiel, je vous déclare que je vous commettrai d'office ». Après une brève suspension d'audience durant laquelle Me Landon demande l'avis de son bâtonnier, l'avocat abdique : « Je me maintiens sur les bancs de la défense, mais je n'adhère pas à la décision de la cour ».

Sauf nouveau contretemps, le procès de Sidney Amiel devrait donc se poursuivre jusqu'au 23 juin. Lundi, la cour entendra notamment le témoignage de la fille de sa seconde épouse, qui affirme avoir subi des agressions sexuelles alors qu'elle avait entre treize et quinze ans.

(1) Le prénom a été modifié.

2 commentaires:

  1. Trop forts, les avocats! Devrait boire 3 cuillères de déontologie tous les matins à jeun! Jusqu'à la retraite! En attendant le verdict!!

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  2. Il traîne ici en filigrane cette éternelle idée insupportable que tout ça n'est pas bien grave. Harcèlement et viol restent dans l'imaginaire de certains une erreur vénielle qu'on efface d'un coup de chiffon négligent.

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