Le cour d'assises de Paris a interrogé
hier la touriste canadienne qui affirme avoir été violée par des
policiers au 36 quai des Orfèvres.
Voici le moment tant redouté et
pourtant obligatoire d'un procès pour viol. Celui où la victime
présumée doit, seule, faire face à la justice. Quatre ans et demi
après les faits qu'elle dénonce, Emily S., Canadienne de 39 ans,
est restée hier de longues heures à la barre de la cour d'assises
de Paris.
Grande femme mince aux cheveux courts
toute de noir vêtue, elle se tient debout face à la cour (trois
magistrats professionnels et neuf jurés). Sur ses côtés, l'avocat
général et les avocats de la défense viendront, chacun leur tour,
ajouter leur flot de questions. Ses souvenirs sont mis à nu, ses
moindres hésitations et contradictions décortiquées, son intimité
livrée en pâture à la trentaine de journalistes accrédités. A
quelques mètres derrière elle, les deux accusés, tête baissée,
encourent chacun vingt ans de réclusion criminelle pour viol en
réunion.
L'exercice est d'autant plus difficile pour Emily S. qu'elle se souvient mal de cette nuit où elle dit avoir été violée à plusieurs reprises par trois agents de la BRI, dans les locaux du 36 quai des Orfèvres. « Je veux aller de l'avant, explique t-elle en anglais, traduite par une interprète. J'essaye de ne plus revenir dessus, de me dire que ce n'était pas de ma faute ». Elle a rapidement effectué un travail avec un psychologue pour lui permettre de revenir sur ce traumatisme : « 62 séances pour réapprendre à me doucher, à interagir avec les autres. Aujourd'hui, je ne peux plus travailler, j'ai dû démissionner. J'ai rompu avec mon conjoint et je suis retournée vivre chez mes parents. »
Cette soirée du 23 avril 2014 commence
au pub le Galway, en face du siège de la police judiciaire. Elle y
rencontre des policiers, ils boivent beaucoup, flirtent un peu.
« Quand ces agents m'ont proposé d'aller voir un commissariat
célèbre, où avait eu lieu des tournages, je me suis dit pourquoi
pas ? Je pensais être en sécurité. » Sa voix se brise pour
raconter la suite : « L'un d'entre eux a poussé un verre
de scotch vers moi pour que je boive. Après je me rappelle que mes
genoux étaient écartés... Quelqu'un forçait son pénis dans ma
bouche. On m'a retiré mon pantalon, mes sous-vêtements et d'un
coup, quelqu'un était à l'intérieur de moi. Puis, il y a eu
quelqu'un d'autre, c'était une sensation différente en moi. J'ai
pris mes affaires mais on m'a tirée dans un autre bureau.. Plus
tard, j'ai essayé de partir mais la porte était fermée. Un agent
m'a ouvert la porte et je suis sortie précipitamment. Le premier
policier que je croise, je lui dis ''j'ai été violée'', il me
répond que je suis ivre ».
Elle devra attendre de longues heures, regrette-elle, avant d'être entendue, puis emmenée à l’hôpital. Interrogée par le président de la cour, Emily S. s'embrouille, confondant les deux accusés. L'avocat général, Philippe Courroye, lui demande de préciser « Ces deux hommes étaient présents lors des viols ? Oui. Ils ont participé aux faits ? Oui. Vous ne vouliez pas avoir de relation sexuelle avec eux ? Non. Pouvait-il y avoir un doute sur votre absence de consentement ? Non. Il y avait combien d'agresseurs ? Trois. »
Reste ensuite les avocats de la défense
qui tenteront de déstabiliser la partie civile avec une longue série
de questions. En pleurs, épuisée, Emily S. répondra pourtant
toujours clairement.Non, elle ne pouvait pas prendre un taxi pour
rentrer à son hôtel, elle n'avait pas d'argent liquide. Non, elle
n'a jamais voulu écrire un livre sur cette affaire. Non, elle ne
sait pas à qui appartient la troisième trace de sperme retrouvé
dans sa culotte. « J'ai toujours dit que j'avais été violée
par plus de deux personnes, ce n'est pas à moi d'identifier cette
trace. »
Les deux accusés devaient être
entendus hier soir, le procès doit durer jusqu'au 1er février.
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