Les langues continuent de se délier à la 17e chambre du tribunal
correctionnel de Paris. Hier matin, Cécile Duflot, citée comme témoin
par les journalistes poursuivis pour diffamation par Denis Baupin, a
livré une déposition bouleversante et accablante pour l’ex-député
écologiste. La voix brisée, très émue, l’ancienne ministre a raconté
qu’elle avait été la dépositaire des confidences de Sandrine Rousseau,
également poursuivie, mais aussi qu’elle avait elle-même été agressée
par Denis Baupin.
Les faits remontent à 2008.
Cécile Duflot est alors secrétaire nationale d’Europe Écologie-les Verts
(EELV), elle vient d’accoucher d’une petite fille dont elle se sépare
pour la première fois pour se rendre à un congrès mondial des
écologistes à Sao Paulo, au Brésil. « Ma fille vient de naître, je suis
très fatiguée, se souvient Cécile Duflot. Je l’allaite encore, donc je
tire mon lait toutes les quatre heures. » Denis Baupin lui envoie un
message pour lui demander son numéro de chambre d’hôtel. « Je ne
réfléchis pas, je lui réponds d’une main, le tire-lait dans l’autre. Il
se passe moins de deux minutes avant que ça frappe à ma porte. » Elle
rabat son tee-shirt pour lui ouvrir. « Avant même qu’il ouvre la bouche,
j’ai compris qu’il y avait un problème. Il me regardait bizarrement. Il
m’a dit : “Je sais que tu en as envie autant que moi.” Il me caresse,
me met sa main sur mon cou et me dit : “Laisse-toi faire.” J’ai eu un
bon réflexe, je lui ai donné un coup de pied dans le tibia, je l’ai
poussé dehors et j’ai claqué la porte. Le stress a fait couler mon lait,
je me sentais tellement vulnérable… » Cécile Duflot appelle alors le
père de sa fille. « Ce n’était pas une bonne idée, il s’est fâché. »
Elle n’en parlera plus jamais. Denis Baupin est alors son concurrent à
la présidence du parti écologiste. « Évidemment, si je disais quelque
chose, on me dirait que c’était parce qu’il était candidat contre moi.
Ça ne m’a jamais traversé l’esprit de porter plainte. »
Si
Cécile Duflot accepte aujourd’hui de raconter son histoire devant un
tribunal, c’est pour soutenir son amie Sandrine Rousseau et toutes
celles qu’elle n’a pas voulu entendre. « Ça fait longtemps que je fais
de la politique, je suis devenue une femme solide, trop solide. J’ai une
capacité d’encaisser, c’est une énorme erreur. J’ai manqué de
compréhension à l’égard des autres femmes. J’étais capable de dire : “Si
t’es choquée parce qu’un mec te demande de le sucer, franchement, ça
nous arrive tous les jours.” » Au sujet de Denis Baupin, elle avait,
dit-elle, cette formule qu’elle trouvait drôle : « C’est le genre de mec
avec qui il est plus facile de coucher que de résister. » Plusieurs
fois, Sandrine Rousseau essaye de se livrer à Cécile Duflot, sans que
cette dernière ne l’entende. En 2014, lors d’un petit déjeuner entre les
deux amies, elle finit par tout lui raconter. « La première chose qu’on
a faite, c’est de regarder les délais de prescription. C’était trop
tard. Je ne pensais pas qu’elle porterait plainte quand même. »
En
2016, elle refuse d’abord de répondre aux questions des journalistes de
France Inter et de Mediapart, puis finit par accepter. « Aujourd’hui,
je les remercie, je regrette de ne pas avoir parlé plus tôt. Je n’ai
aucun doute sur le fait que les femmes qui ont parlé ont dit la vérité.
Maintenant que c’est dit, les filles après nous, non seulement elles
auront des responsabilités (dans les partis politiques – NDLR), mais en
plus, elles sauront qu’elles ne sont pas obligées de subir ça. » Cécile
Duflot, en pleurs, conclut sa déposition par ces mots : « C’est une
bonne chose qu’on soit passé à une autre époque. »
Dans
l’après-midi, les témoins cités par Denis Baupin (toujours absent au
procès) sont venus lui apporter leur soutien. Sa conjointe, Emmanuelle
Cosse, a bravé la meute des cameramen et des photographes devant la
salle d’audience pour venir témoigner à la barre. « C’est la première
fois que je prends la parole dans cette affaire, a commencé l’élue au
conseil régional d’Île-de-France. Quand cette affaire a éclaté, j’étais
ministre du Logement, je ne voulais pas répondre à la presse. » Sans
surprise, l’ancienne présidente d’Act Up a apporté son soutien à son
mari et père de ses enfants, niant tout « conflit de loyauté ». «
J’étais militante de ce parti et non, il n’était pas raconté partout que
Denis Baupin était un harceleur et un agresseur. C’est un homme qui
avait la réputation d’un séducteur. Je le savais quand j’ai choisi de
faire ma vie avec lui. » Sur les questions du président, elle évoque un «
homme qui aimait plus le jeu de la séduction que le fait de conclure
». « Je ne pense pas que mon mari se méprenne sur la question du
consentement, conclut-elle. C’est pour ça que je pense que ce n’est pas
un harceleur. Si mon mari avait commis des actes répréhensibles, avec
mon histoire politique, je l’aurais dit. »
Une
avocate de la défense l’interroge : « Ces femmes ont dit ici qu’elles
avaient beaucoup d’estime pour vous, peut-être que c’est pour cette
raison qu’elles n’ont pas révélé les faits… » « Dans des affaires aussi
graves, il n’y a pas d’estime, c’est trop facile », répond, cinglante,
Emmanuelle Cosse.
Le procès se termine ce
vendredi avec les plaidoiries et le réquisitoire. La décision du
tribunal devrait être mise en délibéré.
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