Il est presque 20 heures, ce vendredi soir, à la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. L’heure est aux plaidoiries de la défense. Les avocats des accusatrices de Denis Baupin et des journalistes poursuivis pour diffamation se succèdent à la barre. Claire Moléon est la première à prononcer le mot que tous ceux qui assistent à ce procès sentent confusément depuis quelques jours : « C’est un procès historique ! Votre décision est très attendue et vitale pour toutes ces femmes, poursuit l’avocate de l’ancienne députée Isabelle Attard. En tant que femme, jeune, je comprends parfaitement ce qu’ont pu ressentir Isabelle, Elen, Sandrine et les autres. Je sais ce que c’est de devoir modifier son trajet, renoncer à ses ambitions. Ce procès est plus que d’intérêt général. » Et de conclure, la voix tremblante, avec la plaidoirie de Gisèle Halimi en novembre 1972 dans un autre procès historique pour les droits des femmes, celui de Bobigny qui ouvrit la voix à la légalisation de l’avortement : « Nous, les femmes, nous, la moitié de l’humanité, nous sommes mises en marche. Je crois que nous n’accepterons plus que se perpétue cette oppression. »
Le procès en diffamation intenté par Denis Baupin à ses accusatrices et aux médias qui révélèrent leurs propos fera sans doute date dans l’histoire du droit des femmes. Le procès de Bobigny fut celui du droit à l’avortement ; celui de Denis Baupin sera celui d’un tournant dans la lutte contre les violences sexuelles. Pas celui de la parole libérée, mais sans doute de la parole entendue. « Nous avons toujours parlé, a rappelé l’adjointe au maire du Mans, Elen Debost, dans ses derniers mots devant le tribunal. Ce qu’ont fait ces journalistes, c’est le développement de l’écoute. Il faut écouter les femmes. »
Dès l’ouverture des débats, cette audience s’annonçait déjà hors du commun parce que remplie de paradoxes. Le premier d’entre eux, ce sont ces femmes qui se serrent sur le banc des prévenus, le « banc de l’infamie » devenu, au fil des témoignages, celui de la fierté et du courage. Pour elles, la justice ne passera jamais. Au terme d’une enquête préliminaire, leurs plaintes pour agressions et harcèlements sexuels ont été classées sans suite. Les faits étaient « susceptibles d’être qualifiés pénalement », mais prescrits, selon le parquet. Absent à l’audience, Denis Baupin s’est imposé au fil des débats comme la figure centrale de ce procès devenu le sien.
Une justice toute de travers, remise à l’endroit par la procureure dans un réquisitoire incisif. La représentante du ministère public a requis la relaxe : « Chacune des personnes prévenues a sincèrement rapporté son vécu subjectif, on ne peut pas leur faire grief de mauvaise foi. » Jugé « sérieux », le travail des journalistes ne mérite pas non plus condamnation, selon Florence Gilbert : « La prescription ne jette pas un tombeau sur les faits décrits. S’interroger sur les faits reprochés à M. Baupin est bien un sujet d’intérêt général. » Sa conclusion est cinglante : « La seule qualité de ce procès aura été de mettre en exergue une impérieuse lutte contre le silence. »
« Je n’ai jamais assisté à un procès de presse comme celui-là, avec tant d’émotion, a déclaré Edwy Plenel à la barre. On s’est parfois cru aux assises. » Ému, le cofondateur de Mediapart a clos le procès par ces mots adressés au tribunal : « Ce qu’on vous demande, c’est une décision judiciaire qui aille au-delà du cas de la presse, qui fasse le même événement que le procès de Bobigny. Parce que les femmes, elles nous libèrent tous. » Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 19 avril. Si, comme l’ont réclamé les avocats de la défense, il condamnait Denis Baupin pour procédure abusive, son jugement serait une jurisprudence essentielle pour les droits des femmes à dénoncer les violences qu’elles subissent. « Le procès en diffamation est une arme couramment utilisée par les agresseurs pour faire taire leurs victimes, explique Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole d’Osez le féminisme ! Ce procès est celui de ceux qui ont essayé de bâillonner les femmes. Leur condamnation pour “procédure abusive” encouragerait les femmes à parler, à porter plainte, ce serait une première étape pour remettre la justice à l’endroit. » Pour Suzy Rojtman, du Collectif national pour les droits des femmes, ce procès est le « tout début » d’une « nouvelle ère » : « Acculée par le rapport de forces, la justice commence à comprendre les violences sexuelles, mais c’est un processus qui prend énormément de temps, les résistances sont fortes. » « Une condamnation de Denis Baupin serait une première, un signal fort contre ces ‘‘procédures bâillons’’, détaille Martine Billard, ex-élue des Verts, aujourd’hui à la France insoumise. On pourra s’appuyer sur cette jurisprudence pour libérer la parole dans les cercles militants. »
Tout au long de ce procès, la défense de Denis Baupin, l’avocat Emmanuel Pierrat – lui-même ancien militant écologiste –, s’est illustrée par son déni de ces violences. Sa plaidoirie de près de trois heures n’a pas échappé à cette règle. « La réalité, je suis désolé, c’est le libertinage », a maintenu l’avocat, qui parle de « drague lourde ». « Il n’y a rien : c’est lourdingue mais pas répréhensible par la loi pénale. Si on devait qualifier pénalement tout ce qui nous est désagréable, ce serait un enfer. »
Mais cet aveuglement est apparu comme les résidus d’un vieux monde face à la force de la parole des femmes. « Ce procès qu’on n’a pas choisi nous permet de dire haut et fort, sans honte, ce que nous avons vécu, pour que ça sorte enfin ! » a lancé fièrement Isabelle Attard à la barre. « Maintenant que c’est dit, les filles après nous, non seulement elles auront des responsabilités politiques, mais en plus, elles sauront qu’elles ne sont pas obligées de subir ça ! » a dit, en pleurs, l’ex-ministre Cécile Duflot, elle-même victime de Denis Baupin.
Apogée de ces débats, les plaidoiries des avocats de la défense, vendredi soir, ont été à la hauteur de l’enjeu. « Certes, c’est désagréable d’être sur le banc, Mesdames, mais vous aurez un magnifique jugement, qui va vous relaxer et dira que vous avez bien fait de parler », commence le vice-bâtonnier Basile Ader, avocat de France Inter. « Il est temps d’ouvrir les fenêtres, de chasser les fantômes de cette phallocratie institutionnelle », réclame pour sa part Romuald Sayagh. Elen Thoumine se tourne vers le banc de la partie civile : « Je dis honte sur vous, Denis Baupin, honte sur vous ! Cette procédure est évidemment abusive, c’est une procédure bâillon pour fermer la porte qu’elles ont essayé d’ouvrir. » Jean-Yves Moyart : « Il faut que votre décision dise : n’ayez plus peur, parlez ! » « Il y a des oreilles qui saignent quand on vient vous dire que mettre la main sur les seins, c’est de la drague pataude ! » tonne pour sa part Yann Le Bras. Pour Antoine Comte, « un vers de Victor Hugo résume ce procès : “Quand tout est petit, femmes vous restez grandes”, parce que tout est petit de l’autre côté de la barre »… Enfin, Emmanuel Tordjman : « Monsieur le président, Madame, Monsieur, je vous demande solennellement que ces femmes n’aient plus jamais peur de dénoncer les comportements des hommes qui commettent des infractions pénales. L’eau coule, le fleuve coule, et on vient vous dire qu’il faudrait taire cette parole ? Au contraire, il faut la rassurer, l’aider. On ne badine pas avec l’expression des femmes, on la touche avec précaution. Monsieur le président, Madame, Monsieur, je vous demande un magnifique jugement sur la vérité ! » Et Laurence Mermet de conclure ce procès par ces mots : « Je souhaiterais que justice soit fête. »
Le procès en diffamation intenté par Denis Baupin à ses accusatrices et aux médias qui révélèrent leurs propos fera sans doute date dans l’histoire du droit des femmes. Le procès de Bobigny fut celui du droit à l’avortement ; celui de Denis Baupin sera celui d’un tournant dans la lutte contre les violences sexuelles. Pas celui de la parole libérée, mais sans doute de la parole entendue. « Nous avons toujours parlé, a rappelé l’adjointe au maire du Mans, Elen Debost, dans ses derniers mots devant le tribunal. Ce qu’ont fait ces journalistes, c’est le développement de l’écoute. Il faut écouter les femmes. »
Dès l’ouverture des débats, cette audience s’annonçait déjà hors du commun parce que remplie de paradoxes. Le premier d’entre eux, ce sont ces femmes qui se serrent sur le banc des prévenus, le « banc de l’infamie » devenu, au fil des témoignages, celui de la fierté et du courage. Pour elles, la justice ne passera jamais. Au terme d’une enquête préliminaire, leurs plaintes pour agressions et harcèlements sexuels ont été classées sans suite. Les faits étaient « susceptibles d’être qualifiés pénalement », mais prescrits, selon le parquet. Absent à l’audience, Denis Baupin s’est imposé au fil des débats comme la figure centrale de ce procès devenu le sien.
Une justice toute de travers, remise à l’endroit par la procureure dans un réquisitoire incisif. La représentante du ministère public a requis la relaxe : « Chacune des personnes prévenues a sincèrement rapporté son vécu subjectif, on ne peut pas leur faire grief de mauvaise foi. » Jugé « sérieux », le travail des journalistes ne mérite pas non plus condamnation, selon Florence Gilbert : « La prescription ne jette pas un tombeau sur les faits décrits. S’interroger sur les faits reprochés à M. Baupin est bien un sujet d’intérêt général. » Sa conclusion est cinglante : « La seule qualité de ce procès aura été de mettre en exergue une impérieuse lutte contre le silence. »
« Je n’ai jamais assisté à un procès de presse comme celui-là, avec tant d’émotion, a déclaré Edwy Plenel à la barre. On s’est parfois cru aux assises. » Ému, le cofondateur de Mediapart a clos le procès par ces mots adressés au tribunal : « Ce qu’on vous demande, c’est une décision judiciaire qui aille au-delà du cas de la presse, qui fasse le même événement que le procès de Bobigny. Parce que les femmes, elles nous libèrent tous. » Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 19 avril. Si, comme l’ont réclamé les avocats de la défense, il condamnait Denis Baupin pour procédure abusive, son jugement serait une jurisprudence essentielle pour les droits des femmes à dénoncer les violences qu’elles subissent. « Le procès en diffamation est une arme couramment utilisée par les agresseurs pour faire taire leurs victimes, explique Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole d’Osez le féminisme ! Ce procès est celui de ceux qui ont essayé de bâillonner les femmes. Leur condamnation pour “procédure abusive” encouragerait les femmes à parler, à porter plainte, ce serait une première étape pour remettre la justice à l’endroit. » Pour Suzy Rojtman, du Collectif national pour les droits des femmes, ce procès est le « tout début » d’une « nouvelle ère » : « Acculée par le rapport de forces, la justice commence à comprendre les violences sexuelles, mais c’est un processus qui prend énormément de temps, les résistances sont fortes. » « Une condamnation de Denis Baupin serait une première, un signal fort contre ces ‘‘procédures bâillons’’, détaille Martine Billard, ex-élue des Verts, aujourd’hui à la France insoumise. On pourra s’appuyer sur cette jurisprudence pour libérer la parole dans les cercles militants. »
Tout au long de ce procès, la défense de Denis Baupin, l’avocat Emmanuel Pierrat – lui-même ancien militant écologiste –, s’est illustrée par son déni de ces violences. Sa plaidoirie de près de trois heures n’a pas échappé à cette règle. « La réalité, je suis désolé, c’est le libertinage », a maintenu l’avocat, qui parle de « drague lourde ». « Il n’y a rien : c’est lourdingue mais pas répréhensible par la loi pénale. Si on devait qualifier pénalement tout ce qui nous est désagréable, ce serait un enfer. »
Mais cet aveuglement est apparu comme les résidus d’un vieux monde face à la force de la parole des femmes. « Ce procès qu’on n’a pas choisi nous permet de dire haut et fort, sans honte, ce que nous avons vécu, pour que ça sorte enfin ! » a lancé fièrement Isabelle Attard à la barre. « Maintenant que c’est dit, les filles après nous, non seulement elles auront des responsabilités politiques, mais en plus, elles sauront qu’elles ne sont pas obligées de subir ça ! » a dit, en pleurs, l’ex-ministre Cécile Duflot, elle-même victime de Denis Baupin.
Apogée de ces débats, les plaidoiries des avocats de la défense, vendredi soir, ont été à la hauteur de l’enjeu. « Certes, c’est désagréable d’être sur le banc, Mesdames, mais vous aurez un magnifique jugement, qui va vous relaxer et dira que vous avez bien fait de parler », commence le vice-bâtonnier Basile Ader, avocat de France Inter. « Il est temps d’ouvrir les fenêtres, de chasser les fantômes de cette phallocratie institutionnelle », réclame pour sa part Romuald Sayagh. Elen Thoumine se tourne vers le banc de la partie civile : « Je dis honte sur vous, Denis Baupin, honte sur vous ! Cette procédure est évidemment abusive, c’est une procédure bâillon pour fermer la porte qu’elles ont essayé d’ouvrir. » Jean-Yves Moyart : « Il faut que votre décision dise : n’ayez plus peur, parlez ! » « Il y a des oreilles qui saignent quand on vient vous dire que mettre la main sur les seins, c’est de la drague pataude ! » tonne pour sa part Yann Le Bras. Pour Antoine Comte, « un vers de Victor Hugo résume ce procès : “Quand tout est petit, femmes vous restez grandes”, parce que tout est petit de l’autre côté de la barre »… Enfin, Emmanuel Tordjman : « Monsieur le président, Madame, Monsieur, je vous demande solennellement que ces femmes n’aient plus jamais peur de dénoncer les comportements des hommes qui commettent des infractions pénales. L’eau coule, le fleuve coule, et on vient vous dire qu’il faudrait taire cette parole ? Au contraire, il faut la rassurer, l’aider. On ne badine pas avec l’expression des femmes, on la touche avec précaution. Monsieur le président, Madame, Monsieur, je vous demande un magnifique jugement sur la vérité ! » Et Laurence Mermet de conclure ce procès par ces mots : « Je souhaiterais que justice soit fête. »
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