vendredi 19 avril 2019

Y aura-t-il une jurisprudence Baupin ?

Le délibéré dans l’affaire Baupin sera-t-il à la hauteur du procès retentissant qui s’est tenu en février devant le tribunal de Paris ? La 17e chambre rend ce vendredi, en début d’après-midi, son jugement à l’encontre des douze prévenus – six femmes, deux hommes témoins, deux journalistes, deux médias – poursuivis pour diffamation par l’ancien élu écologiste. Du 5 au 8 février, ce premier procès de l’ère #MeToo avait, dans un incroyable retournement, consacré la parole des femmes victimes de violences sexuelles.

Rappel des faits  : en mai 2016, Mediapart et France Inter publient une série d’articles révélant des harcèlements et agressions sexuels commis par celui qui est alors vice-président de l’Assemblée nationale, Denis Baupin. Ce dernier annonce son intention de porter plainte pour diffamation. N’ayant pas choisi la citation directe, dans laquelle seuls les journalistes Lénaïg Bredoux et Cyril Graziani auraient été poursuivis, mais une constitution de partie civile, ce sont toutes les femmes concernées par les passages incriminés qui sont automatiquement renvoyées sur le banc des prévenus. Entre-temps, le parquet de Paris décide de classer sans suite les quatre plaintes déposées, les faits étant « susceptibles d’être qualifiés pénalement », mais prescrits.

Privées de procès, les victimes se sont saisies de celui que leur infligeait Denis Baupin pour raconter à la barre les harcèlements et agressions sexuelles qu’elles avaient subis. « Cette audience est déjà une immense victoire, analyse Claire Moléon, l’avocate de l’ex-députée Isabelle Attard. Ensuite, nous espérons que la décision du tribunal sera à la hauteur de la parole de ces femmes. »
Le jugement rendu par la 17e chambre portera sur deux points. 

Tout d’abord, ces femmes et ces journalistes sont-ils coupables de diffamation ou ont-ils fait preuve de « bonne foi » dans les articles incriminés ? À l’audience, la procureure Florence Gilbert avait requis la relaxe et conclu son réquisitoire en saluant « la seule qualité de ce procès »  : « Mettre en exergue une impérieuse lutte contre le silence autour des violences sexuelles. » Si les prévenus étaient en effet relaxés des faits reprochés, Denis Baupin serait alors débouté de ses demandes d’indemnités. Son avocat Me Emmanuel Pierrat n’en avait rien dit à l’audience, mais l’ancien élu a demandé 50 000 euros de dommages et intérêts à payer solidairement.

Autre enjeu de ce jugement : Denis Baupin sera-t-il condamné pour procédure abusive, comme l’ont demandé les avocats des victimes/prévenues ? « Ces femmes ont eu des frais de justice, ont dû assister au procès, sans compter les mises en examen, les convocations chez le juge… énumère Me Jean-Yves Moyart, avocat de Sandrine Rousseau. Tout cela est très abusif et d’une légèreté sans pareil, Baupin doit être sanctionné. » Ses victimes ont demandé chacune environ 10 000 euros de dommages et intérêts. 

Si le tribunal décidait effectivement de condamner Denis Baupin, ce jugement pourrait faire jurisprudence pour ces procédures en diffamation, dites « bâillons », utilisées par les agresseurs pour intimider leurs victimes. « Ce que l’on espère, poursuit Me Moyart, c’est qu’ils hésitent désormais à traîner leurs victimes devant la justice. » Pour Claire Moléon, « en tant qu’auteur des faits, Baupin était bien placé pour savoir que ces femmes étaient de bonne foi. Une condamnation pour procédure abusive serait à la hauteur des enjeux. »


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