jeudi 12 juin 2014

Face à la douleur des familles, le Dr Bonnemaison avoue s’être « trompé »

C’est un échange d’une intensité exceptionnelle, comme il n’en existe que dans les cours d’assises. A la barre, un homme de 61 ans, chemise bleue à manches courtes, un bloc de souffrance. Trois ans après la mort de sa mère, Pierre Iramuno veut « comprendre ». Pour cela, il s’est constitué partie civile au procès de Nicolas Bonnemaison, qui se tient depuis hier devant la cour d’assises de Pau (Pyrénées-Atlantiques).

Françoise Iramuno a été admise à l’hôpital de Bayonne début avril 2011 suite à une chute. Son coma est en phase terminale, la famille ne veut pas d’acharnement thérapeutique. Le matin de son admission, Nicolas Bonnemaison parie un gâteau au chocolat avec un aide-soignant que Françoise Iramuno ne sera plus là le soir même. Or, l’après-midi, le médecin décide de lui injecter de l’Hypnovel (sédatif) pour « éviter le risque de souffrances psychiques », s’est justifié Nicolas Bonnemaison. « Elle avait le faciès détendu et ne semblait pas douloureuse », ont pourtant déclaré, devant la cour, l’aide soignante et l’infirmière de garde ce jour-là. Le médecin n’avait parlé de sa décision de sédation terminale ni à l’équipe ni à la famille pour les « préserver ».

A la barre, Pierre Iramuno à la voix qui se brise quand il évoque la fin de vie de sa mère. Il aimerait, dit-il, « essayer de comprendre et ne plus souffrir ». Après son témoignage, le président Michel Lemaitre, donne la parole à Nicolas Bonnemaison.
- « Je suis bouleversé, commence l’ancien urgentiste, visage fermé. Je veux vous dire que vous avez été écouté, soyez rassurés, il n’y a pas eu d’acharnement thérapeutique. »
- « J’aurais aimé le savoir, lui répond Pierre Iramuno, corps massif et voix frêle. On en aurait discuté ensemble, tout aurait été différent. Vous n’avez préservé personne. Ni vous, ni nous, ni le personnel soignant. C’est pour ça qu’on est tous là aujourd’hui. Des erreurs, on en fait tous, il faut les assumer. »
- « J’essaye d’assumer », murmure le médecin.
- « Je n’en doute pas, vous êtes aussi en souffrance… »

La femme de Pierre Iramuno prend la parole. Petite femme énergique, elle évoque avec émotion le pari du Dr Bonnemaison : « C’est horrible. On a mis six mois à le dire aux enfants, on avait tous les jours peur qu’ils le lisent dans les journaux. Comment voulez-vous leur dire ça ? ». Seul dans le box des accusés où il comparait libre, Nicolas Bonnemaison se lève et déclare d’une voix douce : « Je ne comprends pas, je suis perdu. Vous pouvez penser ce que vous voulez de moi, mais je suis incapable d’avoir du mépris. Ce que je souhaite du fond du cœur, c’est que vous puissiez me comprendre. Je regrette les conséquences, je m’en excuse ». Un silence, puis : « Je me suis trompé, j’ai généré de la souffrance en croyant l’épargner ».

Qui est vraiment le Dr Bonnemaison ? Plus la cour d’assises se penche sur la personnalité de l’ancien urgentiste, plus il semble leur glisser entre les doigts. De l’avis de tous, il est un excellent professionnel. « Respecté par ses pairs », « gentil au sens littéral du terme : proches de ses patients et de ses équipes » avec un « remarquable sens de l’intérêt commun », a témoigné ce matin l’ancien directeur de l’Hôpital de Bayonne, Angel Piquemal, aujourd’hui à la tête du CHU de Caen.

Mais l’homme a aussi sa face sombre. Celle de ses épisodes dépressifs où les pensées suicidaires le tenaillent. Hier, sa femme, Julie, assurait qu’il n’était jamais passé à l’acte. Ce matin, Christine Solano, cadre à l’hôpital de Bayonne, a raconté au contraire, un épisode remontant à septembre 2008. « On m’a appelé pour me dire que Nicolas était passé prendre des ampoules de potassium, tout le Samu et le Smur étaient à sa recherche, on a eu peur. » Le potassium provoque un arrêt immédiat du cœur. S’en est-il procuré pour mettre fin à ses jours ? « Je n’en pas le souvenir », répond Nicolas Bonnemaison, d’une voix pâteuse, comme endormi par les médicaments. Il a confirmé hier être toujours sous antidépresseurs.

Au deuxième jour d’audience, la cour s’approche au plus près de la mort, de ces fins de vie faites de « souffrances, physiques et morales intolérables », « d’esquarres », de « détresse respiratoire ». Sans les injections de Nicolas Bonnemaison, ces patients à l’agonie auraient vécu « quelques heures de plus », « dans des souffrances physiques ou morales insupportables » explique t-il. « Je ne suis pas, insiste l’ancien médecin, un militant de l’euthanasie. Ce n’est pas mon combat. Mon but est de faire en sorte que le patient ne souffre pas, pas de le faire décéder à tout prix ».

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