mardi 26 septembre 2017

« Mon pauvre Angel, pourquoi, ce jour-là, mettre votre capuche ? »

Il fallait bien un Henri Leclerc, grand pénaliste engagé, pour mettre le doigt sur le problème originel. Au procès de la voiture de police brûlée quai de Valmy, dans lequel huit prévenus comparaissent depuis mardi, l’ancien président de la Ligue des droits de l’homme défend Angel Bernanos, 18 ans au moment des faits. Initialement poursuivi pour tentative d’homicide, cet étudiant en géographie a fait quarante-deux jours de détention provisoire avant qu’un autre ne s’accuse à sa place. Il est donc aujourd’hui jugé, comme tous les autres prévenus (cinq le sont aussi pour violences volontaires), pour – prenez votre souffle – « participation à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation caractérisée par un ou plusieurs faits matériels de violences volontaires contre des personnes ou de destruction ou dégradations de biens en réunion ». L’article 222-14-2 du Code pénal punit ce délit d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende.


« Sortie tout droit du cerveau de Nicolas Sarkozy, cette loi a une histoire », rappelle Me Leclerc devant les juges de la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Publié au Journal officiel du 2 mars 2010, ce texte « renforçant la lutte contre les bandes violentes », dit loi Estrosi, est l’héritier des « lois scélérates » votées sous la IIIe République pour réprimer le mouvement anarchiste. En 1894, Jean Jaurès les dénonça dans un discours resté célèbre : pour « surveiller constamment toutes les consciences et sous prétexte d’hygiène morale, vous aurez installé dans ce pays la plus étrange tyrannie qu’on ait jamais pu rêver ! ». Ce délit revient avec la loi anticasseur de 1970, abrogée par la gauche en 1981 et ressuscité par la droite en 2009. L’Humanité s’inquiétait à l’époque de ce « petit bijou d’idéologie ultrasécuritaire » qui « étend dangereusement la notion d’intentionnalité ».

Comment, en effet, prouver l’intention de participer à un groupement en vue de commettre des violences ? L’accusation s’est démenée, dans ses réquisitions vendredi matin, pour tenter de prouver l’infraction. Pour le procureur Olivier Dabin, « ce ne sont pas des manifestants qui sont poursuivis », puisque « la manifestation avait été interdite la veille ». Problème : comme l’a rappelé Raphaël Kempf dans sa plaidoirie, l’organisatrice de ce rassemblement contre les violences policières, Amal Bentounsi, a informé de cette interdiction sur Facebook le jour même à 11 h 20. « Ils étaient déjà sur place. » Mais, pour le ministère public, « on a affaire à une horde de casseurs », un « groupement incontrôlable et imprévisible ». Les « masques de ski » et autres « lunettes de piscine » emportés par les manifestants/casseurs (l’accusation hésite entre les deux) sont des « éléments matériels qui caractérisent la volonté de commettre des violences ». Durant les débats, les prévenus ont expliqué vouloir simplement se protéger contre les gaz lacrymogènes. Et le ministère public de requérir douze mois avec sursis contre les trois prévenus poursuivis pour ce délit. Et trois ans d’interdiction de manifester à Paris pour l’ensemble des personnes poursuivies. Lors des débats, Angel Bernanos a reconnu avoir couvert sa tête pour se protéger des caméras. « Mon pauvre Angel, qu’avez-vous fait ce jour-là quand on vous voit mettre votre capuche ? plaide Henri Leclerc, avec ironie. Cela constituerait donc l’infraction ? Mais ils étaient 150 ! Pourquoi poursuivre Angel ?» À cette question, le ministère public n’a pas répondu. Le procès se termine ce matin par les dernières plaidoiries de la défense.

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