Alors que la partie semblait jouée depuis le début des audiences devant le tribunal correctionnel de Rennes, tout a basculé ce matin. Pendant plus de trois heures, les deux avocats des parties civiles ont livré des plaidoiries brillantes et convaincantes qui pourraient ébranler le tribunal. Comme l’a rappelé Me Jean-Pierre Mignard, Aragon ne disait-il pas « le miracle se peut. Où les larmes du peuple tombent » ?
Or, elles n’ont cessé de tomber les larmes dans cette histoire. Des émeutes qui secouèrent la France pendant un mois suite à la mort de Zyed et Bouna jusqu’à aujourd’hui, où elles ont coulé pour la première fois sur le joues des familles. « A Clichy, raconte Jean-Pierre Mignard, j’ai découvert un torrent de larmes. Un monde tellement lointain à 25 kilomètres de chez moi. » Le ténor du barreau est visiblement ému. Cela fait dix ans qu’il défend cette affaire, vaille que vaille. Il murmure presque, lorsqu’il s’adresse aux juges du tribunal correctionnel de Rennes : « Votre tribunal est en charge d’une parcelle de notre histoire moderne. Vous avez à rendre une décision de justice, mais vous avez aussi à nous réconcilier. Il faut qu’un sentiment de justice et de paix succède à la colère et au désespoir ».
Avant lui, Me Tordjman avait tenu en haleine, durant près de deux heures, la salle d’audience. Criant, hurlant même parfois, pour appuyer son propos, mais sans jamais tomber dans l’outrance. Sa démonstration de la culpabilité des deux policiers poursuivis pour non assistante à personne en danger est implacable. Il plaide, commence-t-il « au nom des 26 000 habitants de Clichy-sous-Bois » et de leur « besoin de justice ». « Aujourd’hui, Zyed aurait 27 ans, Bouna 25 ». Derrière l’avocat, le frère aîné de Bouna et le père de Zyed, un vieux monsieur venu spécialement de Tunisie pour assister au procès, regardent fixement le sol. La belle-sœur de Zyed ne peut arrêter ses sanglots durant les trois heures de plaidoiries.
Sur le banc des prévenus, les deux policiers, bras croisés et mâchoires serrées, regardent droit devant eux. Froidement, Me Emmanuel Tordjman ausculte leurs faits et gestes en ce 27 octobre 2005 pour prouver leur responsabilité pénale. Lorsque Sébastien Gaillemin indique à la radio « ils sont en train d’enjamber pour aller sur le site EDF », « ce n’est pas une hypothèse, assène l’avocat, balayant la défense du prévenu. Ce n’est pas du conditionnel, les enfants sont localisés ». Or, l'article 223-6 du code pénal punit de cinq ans de prison quiconque s'abstient de porter assistance à une personne en péril. A cinq reprises, Sébastien Gaillemin qui aurait pu appeler des secours ou prévenir les garçons du danger, n’a rien fait. Pour l’avocat, cette abstention volontaire caractérise l’infraction pénale. « Il aurait dû crier à s’en rompre les cordes vocales, hurler à la mort : ‘Arrêtez-vous ! Vous n’avez rien fait, ne bougez plus, calmez-vous !’. Mais il reste silencieux. »
Et Stéphanie Klein, qui vient d’entendre à la radio « Je ne donne pas cher de leur peau » que fait-elle ? « Mme Klein, elle ne fait rien et elle s’en fiche », lâche Me Tordjman. Sur le banc des prévenus, la fonctionnaire de police ouvre la bouche d’indignation, avant de fondre en larmes. « Oui, je sais c’est dur, reconnait l’avocat. Mais nous sommes contraints, parce que nous sommes seuls devant tous. Nous devons faire le travail du ministère public. »
Dans l’après-midi, sans surprise, la représentante du ministère public a requis la relaxe pour les deux prévenus. Rien de surprenant au vu du dossier - cela fait dix ans que le parquet empêche la tenue d’un procès – mais la procureure y a mis une énergie surprenante. Durant une heure, elle a exonéré les deux policiers de toute faute. « Ils n'avaient pas conscience de la réalité du péril, il ne peut donc leur être reproché de n'avoir pas agi pour y remédier. »
Même l’ancien ministre de l’Intérieur voit son blason redoré. Nicolas Sarkozy avait affirmé qu’il n’y avait pas de course-poursuite ? Au moment de l’électrocution, « c’est objectivement vrai » pinaille la procureure, qui rappelle que les policiers ont quitté les lieux vingt-cinq minutes plus tôt… « Le droit sera dit, prévoit-elle, en toute objectivité, loin du cri du peuple ». Et de dénoncer les « banderilles » des parties civiles qui l’ont « heurtée ». « Je vous redis ici, lance t-elle aux familles de victimes, l’empathie sincère de tous les magistrats qui ont conclu à des non-lieux. » Puis au tribunal : « Vous n’êtes ni infirmier, ni secouriste, vous êtes la voix du droit. La justice ne peut pas tout, la justice n’a pas réponse à tout ».
Dans la matinée, Me Tordjman avait conclu son réquisitoire en disant, d’une voix tout à coup devenue douce : « Comprenez, monsieur le président, que cela fait dix ans que nous attendons. Les familles n’ont jamais réclamé vengeance, mais simplement de savoir ce qu’il s’est passé. Je vous demande la justice, le droit ».
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