3 octobre 2001. Daniel Wildenstein,
richissime marchand d'art de 84 ans, tombe dans le coma. Il mourra
dix jours plus tard dans une clinique privée parisienne. Dix jours
durant lesquels sa descendance s'organise : entre le 16 et le 23
octobre, la famille exfiltre des États-Unis vers la Suisse
l'équivalent de 184 millions de dollars en tableaux – des
Caravage, Courbet, Picasso et surtout des Bonnard, dont, par un
subtil coup de génie, le patriarche avait hérité 180 tableaux.
L'évasion fiscale du siècle est en marche : tableaux de
maîtres, hôtels particuliers, galeries d'art... Des milliards
d'euros planqués dans des paradis fiscaux pour échapper aux droits
de succession. Rattrapés depuis, les Wildenstein ont essuyé en 2012
un redressement fiscal record, après négociations, de 550 millions
d'euros.
Au tour de la justice de se saisir de
ce dossier : une partie des héritiers Wildenstein
comparaissent jusqu'à la fin du mois devant le tribunal
correctionnel de Paris pour fraude fiscale massive et blanchiment.
Plus habitués aux unes des tabloïds américains qu'au banc des
prévenus, le procès de la célèbre dynastie devrait faire grand
bruit. D'autant que le principal prévenu, Guy Wildenstein, 70 ans,
fils de Daniel, est un membre fondateur de l'UMP, proche de Nicolas
Sarkozy, qui l'a personnellement décoré de la légion d'honneur en
2009.
L'ordonnance de renvoi devant le
tribunal correctionnel, rédigée par deux juges d'instruction, est à
la fois un petit manuel de fraude fiscale et le soap opera d'une
guerre d'héritiers. La dynastie avait mis en place, depuis des
années, un système complexe et sophistiqué pour dissimuler son
colossal patrimoine : propriétés et toiles de maîtres étaient
placés dans des trusts immatriculés dans des paradis fiscaux. L'un
de ces trusts, découvert pendant l'enquête, contenait pas moins
d'un milliard de dollars en tableaux... Le reste – commerce de
chevaux, galeries d'art, immeubles, avion – était détenu par des
holdings.
En 2002, la succession déclarée au
fisc fait état d'un patrimoine de 44 millions d'euros, générant 17
millions de droits de succession à payer. Les héritiers omettent
d'y déclarer les milliards qu'ils ont placé dans les trusts :
le ranch au Kenya (30 000 hectares, Out of Africa y fut tourné),
mais aussi, écrivent les juges d'instruction, « les
propriétés immobilières des îles Vierges britanniques, du 740
Madison Avenue et du 19 East 64th Street à New York, les parts de la
Wildenstein & Co Inc, diverses galeries d’art, le tout logé
dans le Sons Trust, le David Trust, le Sylvia Trust et le GW Trust ».
Cet après-midi, ils seront sept à se
serrer sur le banc des prévenus : Guy Wildenstein, devenu
l'héritier de la dynastie à la mort de son père en 2001, puis de
son frère Alec, en 2008 ; son neveu Alec Junior, 35 ans, fils
d'Alec, deux des avocats de la famille, leur notaire et deux trusts
des Bahamas et de Guernesey. Enfin, Liouba Wildenstein sera à la
fois prévenue et partie civile. La seconde épouse d'Alec –
défendue par le très médiatique Eric Dupond Moretti – est la
deuxième veuve du clan à porter plainte pour « abus de
confiance », après Sylvia Roth, veuve de Daniel, partie en
guerre contre les héritiers et décédée en 2010.
Chez les Wildenstein, la collection et
la vente de tableaux sont une affaire de famille. Elle commence à la
fin du XIXe siècle avec Nathan, qui quitte son Alsace natale pour
tenter sa chance à Paris. Il découvre un business lucratif :
les œuvres d'art du XVIIIe, qu'il déniche et revend à Drouot. Il
fait fortune, s'achète un hôtel particulier rue de la Boétie, dans
le très chic VIIIe arrondissement parisien, un château à
Verrières-le-Buisson, une écurie de courses et une galerie d'art à
New-York. Son fils Georges ouvrira celle de Londres. Déchu de la
nationalité en 1940, il s'exile aux États-Unis avec son fils
Daniel, 23 ans et son petit fils Alec. Guy y naîtra en 1945. Nom
mythique dans le monde des collectionneurs, Guy Wildenstein est aussi
un membre éminent de l'UMP et de son premier cercle de donateurs. Il
est élu à l'assemblée des français de l'étranger pour la
circonscription de Washington pendant dix-sept ans.
Les ennuis chez les Wildenstein
commencent à la fin des années 2000. Pendant qu'Alec défraye la
chronique avec son divorce, le grand-père est accusé par le
journaliste Hector Feliciano d'avoir collaborer avec les nazis. «
Georges exploite discrètement ses contacts au sein de la haute
hiérarchie nazie pour conclure de nombreuses ventes en France
pendant l’Occupation », explique-t-il dans son ouvrage « Musée
disparu ». En 2011, une perquisition à la fondation Wildenstein,
rue de la Boétie, lui donne raison : l'Office central de lutte
contre le trafic des biens culturels y découvre des bronzes et de
dessins appartenant à la collection Reinach, en partie spoliée par
les nazis.
Depuis la mort du patriarche
en 2001, la famille se déchire. Du pain béni pour la justice
française, puisque cette querelle entre héritiers a permis de lever
le voile sur les montages experts mis en place pour échapper au
fisc. Leur procès, sans doute très médiatique, se tiendra jusqu'à
la fin du mois devant le tribunal correctionnel de Paris. Pour fraude
fiscale et blanchiment, ils risquent jusqu'à deux millions d'euros
d'amende et sept ans d'emprisonnement.
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