jeudi 15 septembre 2016

Prison ferme requise au «procès de la trahison»

Il n’était pas aisé dans un procès aussi médiatique et symbolique que celui de Jérôme Cahuzac, ancien ministre du Budget poursuivi pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, de requérir «la juste peine». Le parquet national financier s’y est efforcé hier en requérant des peines de prison ferme contre les époux Cahuzac et de lourdes amendes contre les banquiers suisses.
Mais plus que les peines requises, c’est la dureté des mots prononcés hier matin devant la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris qui resteront. Devant l’ancien ministre socialiste aux yeux baissés, le vice-procureur Jean Marc Toublanc a rappelé le séisme de la découverte des faits en décembre 2012: «C’est la République toute entière qui tremble de voir le premier d’entre-eux, le gardien de l’égalité devant l’impôt, piétiner l’égalité fiscale». «Les yeux de tous les citoyens sont tournés vers leur justice et attendent que vous répariez cette blessure, tonne le vice-procureur à l’adresse du tribunal. Votre jugement ne devra être ni trop clément ni trop sévère pour que l’égalité devant la loi reprenne du sens.»

Et le magistrat de rappeler l’origine du principe d’égalité fiscale devant la loi: «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit», premier article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, votée après la nuit du 4 août et l’abolition des privilèges... Privilèges: comment qualifier autrement la luxueuse vie menée par Jérôme Cahuzac et sa famille pendant vingt ans sur le dos du fisc? «Vingt  ans de dissimulation, de revenus occultes, de comptes cachés, de fraude fiscale, d’inégalité scandaleuse devant l’impôt entre lui et le reste des Français», martèle le représentant du parquet. Le jeune vice-procureur égrène les dépenses durant ces années: «en décembre 2004, on s’offre des vacances à 18 000 euros la semaine financées par des avoirs occultes», «en 2009, 127 000 euros sont dépensés à l’hôtel l’Hermitage de La Baule avec de l’argent non déclaré». «Que conclure de tout cela? Il ne s’agit pas d’une erreur, il s’agit de l’organisation d’une vie familiale enracinée dans la fraude.» Au total, «un patrimoine de 3,5 millions d’euros a été dissimulé», «en réalité beaucoup plus» puisqu’il ne s’agit que du solde de ce qu’il reste en 2012, après la révélation des faits.
Nommée procureur national financier après l’affaire Cahuzac, Éliane Houlette fustige quant à elle une «délinquance en col blanc» dont «les victimes sont beaucoup plus nombreuses que pour les autres crimes», puisqu’il s’agit de «la collectivité toute entière» : «frauder l’impôt, c’est voler la nation». Contre la banque Reyl, personne morale, Eliane Houlette requiert la peine maximum de 1,875 million d’euros d’amende, dix-huit mois de prison avec sursis et 375 000 euros d’amende contre les deux banquiers suisses François Reyl et Philippe Houman. Contre Patricia Cahuzac, qui a «surpassé son mari dans la dissimulation» mais qui n’était «pas élue ni ministre», deux ans d’emprisonnement. Enfin, s’adressant à Jérôme Cahuzac qui n’ose lever les yeux, Éliane Houlette lance: «On a dit que c’était le procès du mensonge. Je pense que c’est le procès de la trahison. Trahison de votre éducation, de votre devoir de citoyen, de votre serment de médecin, de la confiance de vos électeurs. Enfin et surtout des institutions républicaines.» La procureure requiert trois ans d’emprisonnement, peine non aménageable, et cinq ans d’inéligibilité. Le jugement devrait être mis en délibéré à l’issue du procès, prévue ce jeudi soir, après les plaidoiries de la défense.

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