jeudi 26 janvier 2017

Le triste procès de l'ancien bouffon Jawad Bendaoud

On a trop ri de lui. Nous tous qui avions trouvé dans Jawad Bendaoud un exutoire après l'horreur des attentats du 13 novembre. Bien malgré lui, ce trentenaire un peu simple était devenu le bouffon de la République meurtrie. Le 18 novembre au matin, en marge de l'assaut de Saint-Denis, Jawad Bendaoud était interpellé devant les caméras de télévision pour avoir logé Abdelhamid Abaaoud et ses complices. « On m'a demandé de rendre service, j'ai rendu service », osait-il devant les journalistes, devenant illico « Jawad le logeur », repris en boucle sur les réseaux sociaux. Mais cet après-midi, devant la 13e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny où il était jugé pour trafic de stupéfiant, Jawad Bendaoud ne faisait plus rire personne.

On l'avait laissé il y a quatorze mois, petites lunettes carrées sur le nez, cheveux courts et visage fin. En détention provisoire depuis le 27 novembre 2015 à la prison de Villepinte, Jawad Bendaoud a visiblement forcé sur la musculation : il a doublé de volume. C'est un colosse qui entre dans le box des prévenus, d'autant plus impressionnant qu'il agonit d'injures les policiers qui l’entourent : « Fils de pute, attends que je sorte d'ici, je vais te niquer », « Tu crois que je suis un terro ? Que je suis Salah Abdeslam ? ». Puis à la présidente du tribunal, qui lui demande de se calmer : « Ils m'ont tapé ! Ils m'ont donné des coups de matraque ! ». Son avocat, Xavier Nogueras, l’attrape par la nuque et colle son front contre le sien pour tenter de l'apaiser. En vain. « Je te jure Xavier, ils m'ont tapé, regarde mon bras ! ». Toujours hurlant, Jawad Bendaoud est redescendu au dépôt. Il sera jugé en son absence.

Visiblement ému, Me Nogueras dit son « incompréhension » : « Nous l'avons vu il y a une heure, il était prêt. Je ne sais pas ce qui s'est passé en bas, mais il attendait cette audience, il voulait s'expliquer. ». Jawad Bendaoud et son co-prévenu, Mohamed S, comparaissent pour trafic de stupéfiants. Plus particulièrement, il leur est reproché d'avoir avoué, durant leur garde à vue en novembre 2015, un trafic de cocaïne à Saint-Denis. Le premier aurait transformé pour le second, 25 grammes de cocaïne en crack, pour les vendre rue du Corbillon. Mais l'accusation du parquet repose sur les seules déclarations des prévenus dans une garde à vue pour le moins exceptionnelle : 144 heures durant lesquelles on les accuse d'avoir participé aux « faits les plus graves commis en France depuis la seconde guerre mondiale », souligne l'avocate de Jawad Bendaoud, Me Marie Pompéi Cullin.

Pour le procureur de la République, Jean-Cédric Gaux, le tribunal peut « les condamner sur la base de ce qu'ils disent avoir commis » puisque « l'aveu est laissé à la libre appréciation des juges » et que leurs déclarations sont « concordantes ». Il requiert trois ans de prison contre Mohamed S., « marchand de mort », un an contre Jawad Bendaoud. « Il n'est même pas concordant avec lui-même, comment pourrait-il l'être avec quelqu'un d'autre ? » s'offusque Me Pompéi Cullin, pour qui cette procédure est « déloyale et inadmissible ». « On n'a rien, pas une déclaration solide, c'est une accusation qui n'a aucun sens, plaide-t-elle. Ils ont préféré se faire passer pour des stupeux que pour des terro. Ils ont tout intérêt à mentir et nous le savons tous. »

« Durant les 144 heures de garde à vue, Jawad Bendaoud n'arrête pas de dire 'Je ne suis pas un terroriste' et on ne le croit pas. Mais quand il dit qu'il a dealé de la coke, là on le croit et on le poursuit, renchérit Xavier Nogueras. Tout le monde rit de lui, il n'y a pas une semaine sans que son nom n'apparaisse dans les médias. On a piétiné sa dignité... » L'avocat dénonce l'isolement dans lequel est maintenu son client depuis novembre 2015. « Vous savez ce que c'est ? Il ne voit personne, ne peut pas travailler. Certains en riront : il met le feu à sa cellule, se tranche les veines, écrit des courriers sans queue ni tête... » Le juge d'instruction avait pourtant levé cet isolement « au vu de l'évolution extrêmement positive du dossier », mais « l'administration pénitentiaire le maintient à l'isolement », regrette l'avocat.

En fin d'après-midi, Mohamed S. et Jawad Bendaoud ont été condamnés à trois ans et huit mois de prison avec mandat de dépôt. Au moment où ce jugement était prononcé, Jawad Bendaoud était déjà en garde à vue au commissariat de Bobigny pour menaces et outrage sur personnes dépositaires de l'autorité publique et apologie de terrorisme.

Marie Barbier

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