jeudi 17 janvier 2019

« Soudain, quelqu'un était à l'intérieur de moi »

Le cour d'assises de Paris a interrogé hier la touriste canadienne qui affirme avoir été violée par des policiers au 36 quai des Orfèvres.

Voici le moment tant redouté et pourtant obligatoire d'un procès pour viol. Celui où la victime présumée doit, seule, faire face à la justice. Quatre ans et demi après les faits qu'elle dénonce, Emily S., Canadienne de 39 ans, est restée hier de longues heures à la barre de la cour d'assises de Paris.
Grande femme mince aux cheveux courts toute de noir vêtue, elle se tient debout face à la cour (trois magistrats professionnels et neuf jurés). Sur ses côtés, l'avocat général et les avocats de la défense viendront, chacun leur tour, ajouter leur flot de questions. Ses souvenirs sont mis à nu, ses moindres hésitations et contradictions décortiquées, son intimité livrée en pâture à la trentaine de journalistes accrédités. A quelques mètres derrière elle, les deux accusés, tête baissée, encourent chacun vingt ans de réclusion criminelle pour viol en réunion.

L'exercice est d'autant plus difficile pour Emily S. qu'elle se souvient mal de cette nuit où elle dit avoir été violée à plusieurs reprises par trois agents de la BRI, dans les locaux du 36 quai des Orfèvres. « Je veux aller de l'avant, explique t-elle en anglais, traduite par une interprète. J'essaye de ne plus revenir dessus, de me dire que ce n'était pas de ma faute ». Elle a rapidement effectué un travail avec un psychologue pour lui permettre de revenir sur ce traumatisme : « 62 séances pour réapprendre à me doucher, à interagir avec les autres. Aujourd'hui, je ne peux plus travailler, j'ai dû démissionner. J'ai rompu avec mon conjoint et je suis retournée vivre chez mes parents. »

Cette soirée du 23 avril 2014 commence au pub le Galway, en face du siège de la police judiciaire. Elle y rencontre des policiers, ils boivent beaucoup, flirtent un peu. « Quand ces agents m'ont proposé d'aller voir un commissariat célèbre, où avait eu lieu des tournages, je me suis dit pourquoi pas ? Je pensais être en sécurité. » Sa voix se brise pour raconter la suite : « L'un d'entre eux a poussé un verre de scotch vers moi pour que je boive. Après je me rappelle que mes genoux étaient écartés... Quelqu'un forçait son pénis dans ma bouche. On m'a retiré mon pantalon, mes sous-vêtements et d'un coup, quelqu'un était à l'intérieur de moi. Puis, il y a eu quelqu'un d'autre, c'était une sensation différente en moi. J'ai pris mes affaires mais on m'a tirée dans un autre bureau.. Plus tard, j'ai essayé de partir mais la porte était fermée. Un agent m'a ouvert la porte et je suis sortie précipitamment. Le premier policier que je croise, je lui dis ''j'ai été violée'', il me répond que je suis ivre ».


Elle devra attendre de longues heures, regrette-elle, avant d'être entendue, puis emmenée à l’hôpital. Interrogée par le président de la cour, Emily S. s'embrouille, confondant les deux accusés. L'avocat général, Philippe Courroye, lui demande de préciser « Ces deux hommes étaient présents lors des viols ? Oui. Ils ont participé aux faits ? Oui. Vous ne vouliez pas avoir de relation sexuelle avec eux ? Non. Pouvait-il y avoir un doute sur votre absence de consentement ? Non. Il y avait combien d'agresseurs ? Trois. »

Reste ensuite les avocats de la défense qui tenteront de déstabiliser la partie civile avec une longue série de questions. En pleurs, épuisée, Emily S. répondra pourtant toujours clairement.Non, elle ne pouvait pas prendre un taxi pour rentrer à son hôtel, elle n'avait pas d'argent liquide. Non, elle n'a jamais voulu écrire un livre sur cette affaire. Non, elle ne sait pas à qui appartient la troisième trace de sperme retrouvé dans sa culotte. « J'ai toujours dit que j'avais été violée par plus de deux personnes, ce n'est pas à moi d'identifier cette trace. »

Les deux accusés devaient être entendus hier soir, le procès doit durer jusqu'au 1er février.

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