mercredi 20 novembre 2013

« L’hôtel, à l’époque, était conforme »


«Pourquoi vous êtes en train de nous torturer comme ça ? Moi, ce que j’ai vu hier, ça m’a empêché de dormir toute la nuit (1). On n’est pas responsable, vous n’avez qu’à demander au Samu social ! » Entendue hier par le tribunal correctionnel de Paris, la gérante de l’hôtel Paris-Opéra, dont l’incendie, le 15 avril 2005, avait provoqué la mort de 24 personnes, issues pour la plupart de familles pauvres et étrangères, s’est effondrée en pleurs. Poursuivie pour homicides et blessures involontaires, elle encourt avec son mari cinq ans de prison. Leur fils – veilleur de nuit à l’époque – et sa petite copine font partie également des accusés.

Depuis le début des années 2000, les époux Dekali, gérants de l’hôtel Paris-Opéra, logeaient des familles très précaires envoyées par le Samu social et ses partenaires, l’ordre de Malte et l’Association des travailleurs migrants (APTM). Pour chaque personne hébergée, le Samu social payait 17 euros à l’hôtel. Une manne régulière non négligeable pour ces hôteliers qui renvoient aujourd’hui la responsabilité à cet organisme ainsi qu’à la préfecture, chargée du contrôle de l’établissement. Mais ni l’un ni l’autre ne sont sur le banc des accusés.


Hier, leurs représentantes étaient citées comme témoins par la défense et les parties civiles. « Notre rôle est d’héberger en urgence, nous n’assumions à l’époque qu’une toute partie de la chaîne, s’est justifiée Stefania Parigi, directrice générale du Samu social de Paris. Il était difficile de vérifier dans quelles conditions vivaient les familles, puisque nous ne pouvions pas entrer dans les hôtels. » Pour elle, la suroccupation de l’hôtel « est de la responsabilité de l’hôtelier ». La nuit de l’incendie, 77 personnes dormaient à l’hôtel pour un agrément préfectoral de 62 personnes.

« Cet hôtel m’a inspiré une bonne impression quand je suis arrivée », a témoigné, pour sa part, Jocelyne Decoret, contrôleuse de la préfecture, qui avait visité l’établissement le 24 mars 2005, soit moins d’un mois avant l’incendie. Placée sous statut de témoin assisté pendant l’instruction, Jocelyne Decoret n’avait pas prévu de se présenter à l’audience malgré sa convocation. Il aura fallu l’insistance du ministère public pour l’entendre hier. Elle a raconté comment, le 24 mars, elle avait contrôlé l’hôtel « pendant une heure ». Le gérant, prévenu dix jours avant, lui a montré quelques chambres choisies par lui. « Aucune anomalie pour la détection incendie » n’a été constatée.

Et même s’il y en avait une : « Nous n’avons pas le pouvoir de sanctionner, nous mentionnons dans notre rapport et ensuite la hiérarchie prend des décisions. » La suroccupation ? Ce n’était pas à elle de la contrôler, mais au service salubrité de la préfecture. Bref, « l’hôtel, à l’époque, était conforme à la réglementation ». Le 15 avril, jour de l’incendie, son rapport n’était toujours pas parvenu dans les mains des gérants.

Un jeu de ping-pong, émaillé de considérations techniques, souvent incompréhensibles pour les familles des victimes. « Il y a une seule chose que nous voulions entendre, c’est qu’elles disent : “Nous avons fait des erreurs d’appréciation”, regrette, en marge du procès, Aomar Ikhlef, porte-parole de l’association des victimes. Mais chacun s’est enfermé dans son carcan réglementaire et a gardé les œillères qu’il avait déjà à l’époque. »

Depuis le drame, la réglementation a été renforcée. Les inspecteurs de la préfecture peuvent visiter les chambres de leur choix et verbaliser s’ils constatent une suroccupation. Quant au Samu social, il a lui aussi profondément changé ses procédures et dispose désormais de son propre « pôle hôtelier » qui sélectionne et inspecte les établissements.

(1) les victimes revivent le drame
Lundi, la diffusion des images de l’incendie a replongé les victimes dans l’horreur de la nuit du drame. Dans un silence lourd, entrecoupé par des sanglots, le tribunal a visionné pendant une heure ces vidéos tournées par les pompiers : pas de montage ni de commentaire, mais des images brutes et insoutenables, telles ces chutes, par les fenêtres, de petites formes de la taille de bébés. Une aide psychologique a été mise en place pour l’occasion.

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