«Un véritable cauchemar», «une scène de guerre». C’est en ces termes que le sergent Bauduret, de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, décrira aux enquêteurs la scène qui l’attend au 76, rue de Provence (Paris 9e). Nous sommes le vendredi 15 avril 2005, à 2 h 27 du matin. « Une pluie de corps s’était abattue sur la voie publique, les gens, paniqués, jetaient des enfants par les fenêtres, finissant certains par sauter eux-mêmes. » L’hôtel Paris-Opéra est en feu depuis vingt minutes.
À l’origine du drame, une banale dispute d’amoureux. Et encore. Nabil Dekali, veilleur de nuit à l’hôtel
Paris-Opéra, fréquente Fatima Tahrour depuis plusieurs mois. Une relation « basée sur le sexe », d’après lui. À trente-sept ans, Nabil Dekali a repris du service depuis deux mois dans l’hôtel géré par ses parents. Célibataire depuis que sa femme l’a quitté avec son fils sept ans auparavant, il consomme régulièrement shit, cocaïne, crack, alcool et valium. À l’hôtel, il n’a pas de chambre, contrairement à son frère, Hamid, qui occupe un studio au sixième étage avec sa compagne. « Vagabond » de l’hôtel, selon sa sœur, Nabil s’installe souvent dans la pièce du petit-déjeuner au premier étage, où il étale quelques couettes en guise de matelas.
Ses parents, Fatima et Rachid
Dekali, ont repris la gérance de l’hôtel Paris-Opéra en 1988. Depuis 1992, outre quelques chambres réservées aux touristes aux premier et deuxième étages, la clientèle est principalement constituée de familles en grande précarité entassées dans des chambres minuscules. Cette nuit du 15 avril 2005, Fatima doit rejoindre Nabil. Elle arrive vers minuit, le trouve au bar de l’hôtel, buvant des whiskies avec des clients canadiens, monte se coucher dans la salle du petit-déjeuner. Pour éviter la lumière brutale de la lampe de chevet, elle allume une dizaine de bougies – de type chauffe-plats – qu’elle dispose à côté du lit. Elle entend les rires du rez-de-chaussée, s’énerve, redescend. Se dispute avec Nabil, remonte chercher ses affaires, part. Avant de quitter définitivement l’hôtel, elle veut marquer le coup. Nabil déteste que l’on touche à ses affaires, elle le sait. « De rage », dira-t-elle plus tard, Fatima prend les affaires de Nabil et les jette au sol, où les bougies sont encore allumées. Puis quitte l’hôtel. Aux enquêteurs, elle assurera qu’elle n’avait pas vu les bougies mettre le feu aux draps, couettes et vêtements.
Dans l’hôtel, le feu parti du premier étage se répand à toute allure via la cage d’escalier qui fait conduit de cheminée. L’alarme résonne désormais dans tout l’immeuble. La première sonnerie, Nabil l’a éteinte avant de monter voir dans les étages. Il ne voulait pas réveiller tout le monde pour une fumée de cigarette devant un détecteur de fumée. Lorsqu’il arrive au premier étage, les flammes sont déjà plus grandes que lui. Sans formation incendie, il ne sait pas utiliser l’extincteur, laisse la porte de la pièce entrouverte et ne prévient pas les secours. Son manque de formation sera dramatique, diront les enquêteurs. Tout autant que son état : les expertises toxicologiques prouvent qu’il avait consommé alcool et cannabis. Des témoins le décrivent « les yeux injectés de sang », gênant le travail des pompiers. Au final, il tombera du toit en essayant de sauver la compagne de son frère. Bilan : deux mois de coma et seize interventions chirurgicales.
À 2 h 18, le PC sécurité des Galeries Lafayette appelle enfin les secours. Quelques minutes après l’arrivée des pompiers, la situation bascule : alors que le feu se propage rapidement dans l’hôtel, plusieurs personnes se jettent par les fenêtres. Sur place, les agents de sécurité des Galeries Lafayette récupèrent dans leurs bras trois bébés lancés par leurs parents.
Les opérations de lutte contre l’incendie dureront toute la nuit. Au total, 270 pompiers et 73 véhicules tentent de circonscrire le sinistre. Leur tâche est colossale. Le feu s’est rapidement propagé à travers la cage d’escalier, qui ne va pas tarder à s’écrouler. Dans les étages, les familles sont prisonnières du feu. Près d’une soixantaine de personnes seront sauvées par les pompiers. Mais, à l’arrière du bâtiment, sept chambres qui donnent sur un puits de lumière ne sont pas accessibles aux échelles. « Les clients qui occupaient ces chambres étaient pris au piège et n’avaient aucune chance de survie », notent les rapports d’expertise ordonnés par la juge d’instruction. Surprises dans leur sommeil par l’incendie, ces familles mourront asphyxiées ou brûlées vives.
À 7 heures du matin, lorsque le jour se lève sur les cendres encore fumantes de l’hôtel Paris-Opéra, le bilan est épouvantable : vingt morts, quarante-deux blessés. Onze corps sont retrouvés sur la chaussée, neuf dans les décombres de l’hôtel. Une pièce des Galeries Lafayette est utilisée pour les entreposer. Trois autres personnes mourront après leur transfert à l’hôpital, dont Massaram Koné, décédée le 18 avril après avoir donné naissance à une enfant mort-née le 16 avril. Le nombre de morts est de vingt-quatre, dont onze enfants. Début juillet, une vingt-cinquième personne – un homme de quarante-huit ans – décédera mais ne sera pas comptabilisée dans ce triste bilan. Pour l’association des victimes, il ne fait pas de doute que ce sont les fumées inhalées la nuit du drame qui ont causé sa mort. Les expertises médicales, que la famille mettra des années à récupérer, assurent l’inverse. Sa famille, qui n’a pas les moyens d’entamer les procédures pour se battre contre cette décision, ne sera donc pas représentée au procès.
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