mardi 15 octobre 2013

À Roissy, le « néant judiciaire »

C'est une pièce rectangulaire de la taille d'une salle de classe, coupée en deux par une barrière. La lumière blafarde des néons et des fenêtres opaques éclaire le sol en lino gris et les murs verdâtres. D'un côté de la barrière, une douzaine de chaises en plastique pour le public et les journalistes ; de l'autre, un juge devant un micro, assisté d'une greffière. Entre l'avocat de la défense et celui de la préfecture, deux sans-papiers, assis sur un banc.



Hier matin, la salle d'audience délocalisée du tribunal de grande instance (TGI) de Meaux a ouvert ses portes au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, après trois ans de polémiques. Premier homme à comparaître dans cette étrange salle d'audience, un Sénégalais, enfermé depuis vingt-cinq jours dans le CRA. Le consulat du Sénégal n'a pas encore délivré le laissez-passer permettant son expulsion du territoire. Le juge des libertés et de la détention (JLD) doit décider s"il le maintient en rétention pendant le reste de la procédure. Mais les associations de défense des sans-papiers et les syndicats de magistrats et
d'avocats ont décidé de se saisir de cette première comparution pour soulever six moyens de nullités. Les interventions volontaires dureront plus de deux heures dans une salle d'audience remplie de militants et de journalistes.

« Je suis en train de plaider quelque chose alors que vous voyez l'inverse, Monsieur le président, commence Patrick Berdugo, avocat de la défense, en montrant le public très nombreux pour cette première journée d'audience. Mais je peux vous dire, moi qui ai plaidé à Coquelles (salle d'audience délocalisée près de Calais - NDLR), que l'état d'isolement de cette salle nous plonge dans le néant judiciaire.» En cause : l'absence de signalisation pour se rendre dans cette annexe et la mauvaise desserte par les transports en commun qui portent atteinte, selon ses opposants, à la publicité des débats

« Nous ne sommes pas dans une salle d'audience mais dans un centre de rétention, résume Me Mylène Stambouli, représentant la Cimade et la Ligue des droits de l'homme. Et pourquoi pas, demain, rendre la justice directement dans les maisons d?arrêt ou les commissariats ? »

Autre moyen de nullité soulevé par les avocats : le respect du droit à la défense. « Nous n'avons pas les moyens d'exercer notre défense dans des conditions sérieuses », plaide Catherine Herrero, du Syndicat des avocats de France, qui dénonce l'absence d'imprimante, d'accès à Internet et de salle pour rencontrer les familles des détenus. « Cette audience essuie les plâtres, lui répond Michel Revel, l'un des deux juges de la liberté affecté à cette salle d?audience. Si on peut améliorer vos conditions de travail, on le fera. »

Pour les pouvoirs publics, l'annexe permet d'éviter à la PAF et aux sans-papiers de fastidieux transferts jusqu'au TGI de Meaux, à 30 kilomètres de là. Mais dans cette nouvelle salle d'audience, la dignité des détenus n'est pas plus préservée, souligne Me Bruno Vinay : « Les huit personnes présentées ce matin entre 9 h 30 et 14 heures vont passer six, sept heures dans une cellule, sans accès au téléphone pour leur famille.»

Le juge des libertés rendra sa décision deux heures plus tard : rejet de tous les moyens de nullité et vingt jours supplémentaires de rétention pour le Sénégalais.

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