Chaque famille a ses silences. Ceux de la famille Agnelet, lourds et poisseux, sont peuplés de fantômes. La cour d’assises d’Ille-et-Vilaine a confronté hier le fils Guillaume – qui a fait basculer le procès lundi avec de nouvelles déclarations – à sa mère Annie Litas, son père, Maurice Agnelet, et son frère Thomas. Toute l’intimité d’une famille jetée en pâture à une salle d’audience pleine à craquer de journalistes et de curieux.
D’abord posé et sobre, Guillaume Agnelet a terminé sa déposition en sanglotant dans le micro, lâchant d’une voix mal maîtrisée : « Ce qui tue plus que la vérité, c’est le secret. J’ai passé plus de la moitié de ma vie dans le secret. » L’homme de quarante-cinq ans a réitéré les déclarations qu’il avait faites lundi devant la cour. Oui, à plusieurs reprises et séparément, ses parents lui auraient avoué le meurtre d’Agnès Le Roux par Maurice Agnelet lors d’un séjour en Italie à la Toussaint 1977. Mais, face à lui, ses parents et son frère nient catégoriquement.
La famille Agnelet est déchirée depuis longtemps. La mère « a coupé les ponts » avec le père, dont elle est divorcée depuis 1976. Le fils Guillaume ne parle plus à la mère depuis des années. Avant ces ruptures, la famille n’était pas non plus très loquace. « Mes enfants avaient la pudeur de ne pas me parler de ce qui se passait entre eux et leur père », résume Annie Litas. Cette culture du silence, Guillaume raconte comment il a essayé de la briser avec ses colères.
Un matin, alors qu’il « harcèle » sa mère dans sa maison de Cantaron près de Nice, il jette violemment une tasse de thé au sol. « C’était dans les années où je disais à ma famille : “Atterrissez ! Vous m’avez dit ça, vous ne pouvez pas faire comme si ça n’existait pas !”, témoigne Guillaume. Je lui ai dit : “Tu m’as bien dit qu’il était coupable ?”, elle m’a répondu : “Tu n’en as pas la preuve.” J’ai pris la tasse de thé et je l’ai jetée violemment par terre. » La mère : « Dans mon souvenir, notre conversation n’était pas du tout celle-là. » Son père puis son frère nient eux aussi tout lien avec la disparition d’Agnès Le Roux. « Il se prenait pour Jésus », dit le premier. « Je me souviendrais de ce genre de conversation si elle avait eu lieu », murmure le second. « Je savais qu’il y allait avoir des coups, mais je m’attendais pas à ça… » lâche Guillaume, qui ne cesse de répéter qu’il n’est pas « venu faire la guerre à (sa) famille ». Puis, s’écroulant en larmes à la barre : « Avec le temps, j’espère qu’ils atterriront et qu’on pourra se retrouver. Comme des anciens combattants qui peuvent parler de la guerre, mais pas la nier. »
L’un des fantômes du clan Agnelet a traversé le prétoire hier matin : Jérôme, le fils aîné, mort à vingt-deux ans du sida. Peu avant son décès, il écrivait à un ami : « Mes parents sont des assassins. » « Savait-il ? » demande l’avocat général à Annie Litas. Elle s’effondre : « Je demande qu’on le laisse tranquille, on est en train d’éplucher notre intimité d’une manière absurde. » Le prétoire retient son souffle. Me Hervé Témime, avocat de la famille Le Roux, se penche vers un micro : « Je trouve tout cela horrible. Même la partie civile est heurtée au plus profond par ce qui se passe ici. »
Aujourd’hui, avant-dernier-jour du procès, les parties civiles devraient être entendues, puis l’avocat général pour son réquisitoire.
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