Parfois, Ferréol Billy a le sentiment d’être transparent.
Difficile à croire avec son bagou et son mètre quatre vingt-seize. Mais quand
il porte sa robe noire (sur mesure, forcément), ce jeune greffier de 27 ans a
bizarrement l’impression de disparaître. « Pendant les audiences, il arrive que notre présence soit
complètement oubliée alors qu’on est là, à prendre des notes. Sans nous, il n’y
a plus de procès, il n’y a plus rien ! »
Ce métier de greffier, peu reconnu au sein de l’institution
judiciaire et mal compris du grand public, Ferréol l’a pourtant choisi pour
être au plus près des justiciables. «
C’est le volet humain et “service public” qui m’ont plu », confie cet Auvergnat
de 27 ans. Frais émoulu de l’École nationale des greffes, en 2011, il choisit
le tribunal de Créteil comme port d’attache, bien loin de son Puy-de-Dôme
natal, où s’élève son mont éponyme.
« Je
suis encore un peu un bébé greffier », s’amuse Ferréol. Passionné, il aime
expliquer son métier, prendre le temps de raconter le « maillon
indispensable » qu’il
constitue dans la chaîne judiciaire. Rattaché à la chambre correctionnel du
tribunal de Créteil (Val-de-Marne), il travaillait jusqu’en janvier au service
des comparutions immédiates. Le greffier intervient en trois temps, détaille-t-il : avant, pendant et après les
audiences. Avant, il prévient les parties (victimes et défense), vérifie les
dossiers, prépare le calendrier des audiences ; après, il tape les jugements,
les envoies.
Mais c’est pendant l’audience que se situe « le cœur » de son métier,
« notre marque de fabrique
», dit-il fièrement : retranscrire le contenu des débats. Ces notes seront le
seul témoignage des audiences avant le jugement. « Elles peuvent aider le
magistrat à prendre sa décision. Ce sont elles qui font foi. Personne ne
peut contester ce qu’on écrit, on est garant de la procédure. »
A raison de deux jours d’audience par semaine, ces compte
rendu sont un aspect essentiel du métier de greffier. Un travail minutieux qui
exige une attention constante au milieu des petits et grands drames de la
justice ordinaire. « Il
arrive que des affaires nous touchent plus que d’autres, mais on n’a pas à se
laisser porter par les émotions. » Le jeune greffier garde en mémoire un débat
de trois heures qu’il a dû coucher sur papier (« Je vous dis pas l’état du poignet ! »), ou encore ce couple
sado-maso venu exposer ses pratiques à la barre (« J’ai dû tout prendre en
notes, c’était très dur »). Les ordinateurs portables ? Ils existent mais, « vu leur
mauvais état », la majorité des greffiers prennent des notes à la main.
Avec la surcharge de travail, il arrive aussi à Ferréol de
taper des jugements pendant les audiences, pour gagner quelques précieuses
minutes… La course contre la montre ne cesse jamais. « Les justiciables attendent beaucoup de nous, mais
aussi les magistrats, les avocats… On est pressurisés en permanence. » Dans l’ombre d’une justice à
bout de souffle, les greffiers courent sans relâche pour rattraper un retard
irrécupérable.
Le manque de moyens est devenu constant : obtenir du papier ou des
stylos relève de la gageure. « Dans les tribunaux d’Ile-de-France, les vitres
ne sont plus nettoyées depuis deux ans », témoigne Ferréol. Le tout dans un
contexte de sous-effectif permanent. A la Cour d’appel de Paris, qui
rassemble six départements franciliens, seuls 75 % des postes de greffiers sont pourvus. Résultat : les amplitudes horaires
s’étalent… « J’ai déjà travaillé de 13 heures à 2 heures du matin, raconte le
jeune greffier. Depuis 2010, ça s’est calmé à Créteil, on a dû se battre
pour arrêter de travailler après minuit.
»
Pour Ferréol, le syndicalisme était une « évidence », une suite logique à
son engagement étudiant. A la CGT Chancellerie et services judiciaires depuis
sa sortie d’école, il est le plus jeune membre de la direction et vient
de passer à 40 % de
délégation syndicale. Dans les permanences, il tente d’aider ses collègues « au
bout du rouleau ». « Il y a ceux qui ont des TMS (troubles
musculo-squelettiques, NDLR), à cause de la manipulation des dossiers,
les troubles du sommeil dus aux horaires de nuit, ceux qui travaillent douze
jours d’affilée ou n’ont pas leurs onze heures de repos entre deux journées de
travail. Et puis l’anxiété, constante.
»
Le tout pour un salaire dérisoire : la rémunération varie de 1 372 euros net par mois à 2332 en
fin de carrière. Des primes pour les services les plus difficiles peuvent s’y
ajouter. Comme greffier dans une chambre correctionnelle, Ferréol Billy gagne
ainsi 400 euros de plus. S’ajoutent aussi les heures supplémentaires, « devenues la norme alors
qu’elles devraient être exceptionnelles ». Et Ferréol de s’agacer : « Il y a quinze jours,
Christiane Taubira a reçu les organisations syndicales, elle nous a proposé
cinq points d’indices supplémentaires : ça fait seulement vingt euros de plus ! ».
Pas de quoi calmer la colère des greffiers. Parti du
tribunal d’Agen à la fin du mois de mars, ce mouvement ne cesse de prendre de
l’ampleur (lire l’Humanité du 11
avril 2014). Aujourd’hui, un palier est franchi avec l’appel à la grève
des quatre principaux syndicats, soutenu par les deux organisations de
magistrats. La dernière grève d’ampleur de la profession remonte à novembre 2000… « Ce n’est pas vraiment
dans les gènes du personnel du ministère de la justice », souligne Ferréol.
Au milieu de ce ras-le-bol général, c’est le chantier de la
« Justice du XXIe siècle »,
en gestation, qui a mis le feu aux poudres et déclenché cette colère venue de
la base. Parmi les nombreuses pistes évoquées figure la création d’un
greffier juridictionnel aux missions élargies. Il pourrait notamment prononcer
un divorce par consentement mutuel, compétence qui relève aujourd’hui du seul
juge. « Si on se retrouve
à exercer des pouvoirs décisionnaires à la place des magistrats, cela
pose un sérieux problème statutaire, argumente Ferréol Billy. Sans parler de la
rémunération. » Pour le
syndicaliste, cette réforme est l’œuvre de « têtes bien pensantes qui ne
connaissent rien au travail des greffiers ».
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