Elles se tiennent de chaque côté de la barre, à quelques mètres d’intervalle. Ces trois femmes ont le même âge, viennent du même pays et pourtant, un gouffre les sépare. Sur le banc des prévenus, Kadidia Sy, 34 ans, Burkinabée, compagne de l’ancien Premier ministre ivoirien Guillaume Soro - actuel président de l’Assemblée nationale. Tailleur bleu marine, chemisier en soie blanche, cette femme transpire l’élite et l’argent jusqu’au bout de ses ongles parfaitement manucurés. Face à elle, Rosalie et Marie, 30 et 28 ans, en jeans et pulls bon marché se tiennent, têtes baissées, sur le banc des victimes. Plus de quatre ans après, elles sont venues raconter leur calvaire à la barre du tribunal correctionnel de Nanterre.
Pendant plusieurs mois, les deux jeunes femmes ont successivement été exploitées par leur patronne, venue en France soigner son fils hémophile. Embauchées comme nounous au Burkina, elles se sont retrouvées bonnes à tout faire dans de riches appartements parisiens. A la barre, elles racontent une « journée type » : lever vers 6 heures avec l’enfant - qu’elles emmènent directement dans le salon pour ne pas réveiller la mère qui émergera vers 11 heures. Ménage, vaisselle, lessivage, repassage. Il faut ensuite faire les courses pour préparer les repas, tout en s’occupant de l’enfant, voire des enfants des amies de Madame si celles-ci ont décidé de sortir « faire du shopping ». Coucher vers 22 ou 23 heures, dans le même lit que l’enfant. Ce sont elles qui s’en occupent la nuit s’il se réveille, quand on ne les envoie pas faire des courses à l’épicerie ou répondre au téléphone.
Les passeports sont confisqués, la paie dérisoire (30 euros par mois et une «prime» de 350 euros quand elles reviennent au pays), les jours de repos inexistants. Rosalie, la première embauchée, tient six mois avant de s’enfuir en août 2008. Elle s’adresse au Comité contre l’esclavage moderne, porte plainte. Le ministère public ne donne pas suite. Il faudra attendre la plainte de Marie en 2010 - elle a pris la fuite après dix-sept mois de travail harassant - pour que les poursuites reprennent.
A la barre, Rosalie explique dans un mauvais Français : « Je ne dormais presque plus. Je me suis enfuie pour me reposer, c’était trop pour moi. On travaillait 24 heures sur 24 sans jour de congé. » Kadidia Sy lève les yeux au ciel en soupirant. Marie - « niveau d’étude : CM1 » - s’exprime dans sa langue maternelle d’une voix basse : « Y’avait beaucoup de travail, mais le plus dur c’était les insultes. » Son ancienne patronne la scrute avec mépris, sa bouche rouge formant une moue de dégoût. Dans le public, ses amies - parées de robes fastueuses qui conviendraient davantage à la croisette qu’à la 17e chambre - raillent ostensiblement ces paysannes analphabètes. Mme Sy affiche la même morgue face au président du tribunal, qui ne la ménage pas :
La paie était inexistante ? C’est parce que « Madame » leur payait tout : « Le déodorant, les serviettes hygiéniques, elles ne dépensaient rien. Même le billet d’avion à 7000 euros. Je ne comprends pas comment on peut dire qu’on est esclave quand on voyage en business class ! ». Les jours de repos jamais pris ? « Elles n’en ont pas demandé. » Et si elle ne les a pas déclarées à l’Ursaff et payées au smic français, c’est parce qu’elle ne connaissait pas la loi. «On a du mal à croire qu’une femme aidée par le conseiller du premier ministre de Côte d’Ivoire pour faire venir ses ‘‘dames de compagnie’’ en France ignore la loi», s’agace le président. Aujourd’hui locataire à Courbevoie (Hauts-de-Seine), Mme Sy n’a jamais travaillé. Elle reçoit chaque mois de son ancien compagnon, Guillaume Soro, «entre 2000 et 3000 euros» pour élever leur fils Olivier, âgé de sept ans.
Kadidia Sy pioche des photos dans un classeur rouge posé devant elle : «Elles étaient heureuses, je peux vous montrer des photos de Marie à Disneyland et sur les bateaux-mouches.» Le procureur s’impatiente : «Ces belles photos, où l’on voit Marie au jardin d’acclimatation... Elle était en train de travailler ! Elle n’était pas avec des amis en train de se détendre, mais avec un petit garçon qu’elle devait constamment surveiller parce qu’hémophile.»
Le ministère public a requis trois mois de prison avec sursis et 5000 euros d’amende, mais refuse d’ajouter l’infraction de «traite des êtres humains» comme le réclamaient les parties civiles. Quant à l’avocat de la défense, légion d’honneur sur la robe, il plaide avec une naïveté déconcertante. «Elles n’étaient pas enfermées dans un cachot sans contact extérieur. C’était, certes, un travail lourd mais ça n’était pas de l’esclavage. L’esclave, il a des fers aux pieds et il ne peut pas bouger», explique très sérieusement Me Jean-Paul Benoit, député européen honoraire, qui demande un simple rappel à la loi. Rosalie réclame 18 000 euros de préjudice, Marie 23 000. La décision a été mise en délibéré au 6 octobre.
Pendant plusieurs mois, les deux jeunes femmes ont successivement été exploitées par leur patronne, venue en France soigner son fils hémophile. Embauchées comme nounous au Burkina, elles se sont retrouvées bonnes à tout faire dans de riches appartements parisiens. A la barre, elles racontent une « journée type » : lever vers 6 heures avec l’enfant - qu’elles emmènent directement dans le salon pour ne pas réveiller la mère qui émergera vers 11 heures. Ménage, vaisselle, lessivage, repassage. Il faut ensuite faire les courses pour préparer les repas, tout en s’occupant de l’enfant, voire des enfants des amies de Madame si celles-ci ont décidé de sortir « faire du shopping ». Coucher vers 22 ou 23 heures, dans le même lit que l’enfant. Ce sont elles qui s’en occupent la nuit s’il se réveille, quand on ne les envoie pas faire des courses à l’épicerie ou répondre au téléphone.
Les passeports sont confisqués, la paie dérisoire (30 euros par mois et une «prime» de 350 euros quand elles reviennent au pays), les jours de repos inexistants. Rosalie, la première embauchée, tient six mois avant de s’enfuir en août 2008. Elle s’adresse au Comité contre l’esclavage moderne, porte plainte. Le ministère public ne donne pas suite. Il faudra attendre la plainte de Marie en 2010 - elle a pris la fuite après dix-sept mois de travail harassant - pour que les poursuites reprennent.
A la barre, Rosalie explique dans un mauvais Français : « Je ne dormais presque plus. Je me suis enfuie pour me reposer, c’était trop pour moi. On travaillait 24 heures sur 24 sans jour de congé. » Kadidia Sy lève les yeux au ciel en soupirant. Marie - « niveau d’étude : CM1 » - s’exprime dans sa langue maternelle d’une voix basse : « Y’avait beaucoup de travail, mais le plus dur c’était les insultes. » Son ancienne patronne la scrute avec mépris, sa bouche rouge formant une moue de dégoût. Dans le public, ses amies - parées de robes fastueuses qui conviendraient davantage à la croisette qu’à la 17e chambre - raillent ostensiblement ces paysannes analphabètes. Mme Sy affiche la même morgue face au président du tribunal, qui ne la ménage pas :
- «Vous Madame, vous pourriez vivre avec 30 euros par mois à Paris ?
- Non.
- Et pourquoi ?
- Parce que c’est moi…
- Expliquez-nous, Madame, comment deux êtres humains ne peuvent pas vivre de la même façon avec la même somme ?
- ... Mais je les traitais bien, on mangeait la même chose.
- Effectivement, puisqu’elles mangeaient vos restes…
- En Afrique, tout le monde mange les restes.»
La paie était inexistante ? C’est parce que « Madame » leur payait tout : « Le déodorant, les serviettes hygiéniques, elles ne dépensaient rien. Même le billet d’avion à 7000 euros. Je ne comprends pas comment on peut dire qu’on est esclave quand on voyage en business class ! ». Les jours de repos jamais pris ? « Elles n’en ont pas demandé. » Et si elle ne les a pas déclarées à l’Ursaff et payées au smic français, c’est parce qu’elle ne connaissait pas la loi. «On a du mal à croire qu’une femme aidée par le conseiller du premier ministre de Côte d’Ivoire pour faire venir ses ‘‘dames de compagnie’’ en France ignore la loi», s’agace le président. Aujourd’hui locataire à Courbevoie (Hauts-de-Seine), Mme Sy n’a jamais travaillé. Elle reçoit chaque mois de son ancien compagnon, Guillaume Soro, «entre 2000 et 3000 euros» pour élever leur fils Olivier, âgé de sept ans.
Kadidia Sy pioche des photos dans un classeur rouge posé devant elle : «Elles étaient heureuses, je peux vous montrer des photos de Marie à Disneyland et sur les bateaux-mouches.» Le procureur s’impatiente : «Ces belles photos, où l’on voit Marie au jardin d’acclimatation... Elle était en train de travailler ! Elle n’était pas avec des amis en train de se détendre, mais avec un petit garçon qu’elle devait constamment surveiller parce qu’hémophile.»
Le ministère public a requis trois mois de prison avec sursis et 5000 euros d’amende, mais refuse d’ajouter l’infraction de «traite des êtres humains» comme le réclamaient les parties civiles. Quant à l’avocat de la défense, légion d’honneur sur la robe, il plaide avec une naïveté déconcertante. «Elles n’étaient pas enfermées dans un cachot sans contact extérieur. C’était, certes, un travail lourd mais ça n’était pas de l’esclavage. L’esclave, il a des fers aux pieds et il ne peut pas bouger», explique très sérieusement Me Jean-Paul Benoit, député européen honoraire, qui demande un simple rappel à la loi. Rosalie réclame 18 000 euros de préjudice, Marie 23 000. La décision a été mise en délibéré au 6 octobre.
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