jeudi 2 octobre 2014

Le « pied écrasé » de la Manif pour tous en procès

Peut-on arracher des tracts d’opposants politiques et cela constitue t-il une violence ? Cette question était au cœur d’un curieux procès, ce jeudi matin, devant le juge de proximité du tribunal d’instance de Paris, où deux militants LGBT comparaissaient pour « violences volontaires ». En tentant de retirer des tracts des mains de militants de la Manif pour tous, ils leur auraient « plié les doigts » et « marché sur le pied »...

Les faits remontent au 22 mars 2013, peu après 20 heures. Sur le parvis de la gare Saint-Lazare, « trois ou quatre » sympathisants de la Manif pour tous distribuent des tracts appelant à manifester. « Cinq ou six » militants LGBT dont Camille*, 23 ans, étudiant en sociologie et Nathan, 26 ans, salarié de l’association de lutte contre le sida Aides, décident de ne pas laisser faire. « Notre action était non violente, raconte Nathan devant la juge. On reproduisait les clichés sur les homosexuels, on portait des capes roses à paillettes et on dansait. » Rires dans la salle.

Pour « perturber la distribution », ils crient « Homophobes ! Homophobes ! », puis tentent d’arracher les tracts des mains des militants. Nathan y parvient, avant de les rendre quelques minutes plus tard. Camille échoue. Cela aurait pu être la fin de ce banal épisode. Sauf que Nathan, en « arrachant les tracts » des mains d’une militante, lui aurait « plié les doigts » et que Camille, en essayant vainement de son côté, aurait « marché sur le pied gauche » d’une autre. Les deux femmes portent plainte. Sans aucune constatation médicale ni jours d’Interruption temporaires de travail (ITT). Et le parquet décide de poursuivre, ce qui est certainement le plus étonnant dans cette histoire…

A la barre, les deux militantes se posent en souffre-douleurs. « J’ai souvent été victime de violences verbales, explique Mme T., petite brune d’une soixantaine d’années. Mais c’était la première fois que je subissais des violences physiques. » Son avocat réclame 1000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et 1500 euros de frais de justice. « Ces tracts ont été pris par la force, ce que le code pénal définie comme une violence », plaide Me Henri de Beauregard, par ailleurs avocat de la Confédération des associations familiales catholiques. Même somme pour la deuxième militante, revenue pourtant sur ses déclarations pendant l’audience, avouant que les tracts ne lui ont pas été arrachés.

Ces fameux tracts, versés au dossier à la demande de la défense, expliquaient qu’il fallait « préserver notre société et notre humanité en refusant le mariage des couples du même sexe ».

- L’officier du ministère public se tourne vers les deux prévenus : « Vous êtes-vous sentis agressés par les écrits de ce tract ? »
- « Oui, bien sûr, répond Camille. Je me suis déjà fait agressé dans le métro par des gens qui m’ont dit ’On va te tuer, sale pédé’. Eux aussi considéraient que j’étais un danger pour l’humanité. Ce genre de tracts conduit à cette violence. C’est un fait : il y a eu une augmentation des actes homophobes à ce moment là. »
- « Il n’y a pas l’ombre d’une homophobie dans ce tract, répond Me Henri de Beauregard, qui voudrait qu’on arrête « d’insulter » ses clientes « d’homophobes ».

Pour les avocats des prévenus, « les dossiers sont vides ». « C’était une action militante bon enfant, constate Tewfik Bouzenoune, avocat de Nathan. Pendant que mon client dansait, Madame souriait. La violence ne transpire pas… » L’avocat rappelle aussi le contexte particulier de ce « printemps français » où « pendant des mois, les homosexuels ont entendu quotidiennement dire qu’ils ne devaient pas avoir les mêmes droit que tout le monde ». « C’est aussi une violence », conclue Me Bouzenoune.

« Nous ne referons pas le débat ici, prévient le représentant du ministère public. Il y a des lois votées au nom du peuple français, nous sommes en République ». Les soutiens des prévenus jubilent. Le ministère public demande une « peine symbolique » pour Nathan et la relaxe pour Camille, « les faits n’étant pas constitués » et « madame » ne s’étant « pas trop étendu sur son traumatisme »...

Camille et Nathan encourent des amendes de quatrième catégorie (750 euros maximum). Les jugements ont été mis en délibéré au 27 novembre.

*Le prénom a été changé

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