vendredi 6 février 2015

La vie sordide des filles dans les « bars à Dodo »

Au tribunal de Lille, jeudi matin, deux mondes se sont fait face sans jamais se comprendre. D’un côté, le proxénète belge Dominique Alderweireld, alias Dodo la Saumure – du nom du bain salé dans lequel sont marinés les maquereaux. Soixante-six ans, trapu, crâne dégarni et ventre rebondi. À ses côtés, sa compagne, Béatrice Legrain, dite Béa, de vingt-cinq ans sa cadette. Grande, toute de noir vêtue, une longue chevelure blonde qui lui tombe sur les épaules. Prostituée à ses heures, parce qu’elle « aime ça » et gérante de maison close.


Provocateur notoire, Dominique Alderweireld amuse la galerie en évoquant le nom de son prochain club : le FMI (pour Famous Miss International). Il a dû fermer le DSK (Dodo la Saumure Klub), le 15 décembre 2014 : pas rentable. Car, derrière ses allures de potache, l’homme est un vrai chef d’entreprise, qui « gère » des centaines de filles dans ses six « établissements ». « Je ne peux pas vous dire combien, c’est impossible, elles sont indépendantes et n’ont aucun lien de subordination. » Dominique Alderweireld est précis puisque la loi belge autorise la tenue de « maisons de complaisance » avec contrats et sans contraintes. Il loue donc des chambres 30 à 40 euros.
- « Par nuit ? », demande le président du tribunal.
- « Ah non, quand la fille a un rapport avec un client. »
- « Et vous appelez ça, de la location de chambre ! »
- « Oui, c’est le projet de loi du parti libéral belge sur lequel j’ai basé tous mes contrats. »
Dodo s’occupe même du « placement des enfants ». « Pas par altruisme, précise-t-il au cas où l’idée nous aurait effleurés. Mais si la fille sait pas où faire garder ses enfants, elle s’en va. » Le proxénète, qui a le sens du détail, a appelé cette association Marie-Madeleine.

Face à lui, ses anciennes « filles », comme il les appelle en utilisant le possessif, « comme un dirigeant d’entreprise parle de ses collaborateurs ». Elles sont deux à témoigner à la barre : Jade (qui a déjà livré un témoignage très fort mardi) et Laura (1). La première a travaillé durant deux ans au Club Madame. « Quand un client arrivait, on était exposé comme de la viande sur des esses. Il fallait une certaine variété pour qu’il fasse son marché. » « Combien de clients par jour ? » demande le président. « Y a un moment où on préfère de ne pas compter », répond Jade. « La particularité du Club Madame, c’est qu’il est ouvert sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Je dormais dans mon sac de couchage et quand la sonnette retentissait, je me présentais. » Jade dit aussi : « C’était Dodo le patron, il essayait les nouvelles filles. »

De retour à la barre, Dominique Alderweireld nie catégoriquement. « Jade, elle veut faire ressortir le côté misérable des filles qui seraient forcées, c’est un peu un mythe. » Le président lit des écoutes téléphoniques. « Je ramène du cheptel d’Espagne », dit Dodo sur l’une d’elles. Ou encore : « Un client veut une Négresse. » « C’est comme ça que vous parlez des filles ? » « Oui, je fais du Audiard. » À une avocate des parties civiles qui lui demande s’il a entendu la souffrance de ses anciennes filles : « Beaucoup d’employeurs ont des problèmes avec leur personnel. Si les salariés de la SNCF se suicident, c’est pas de la faute du patron. »

(1) Pseudonymes utilisés dans leur activité de prostituées.

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