mercredi 4 février 2015

« Un soir, j’ai ouvert 
mon frigo, il était vide… »

Jade (1) a beaucoup hésité avant de venir témoigner devant le tribunal correctionnel de Lille. Ce huis clos demandé par les partiesciviles et refusé par le tribunal l’a mise en colère. « Je ne peux pas encore estimer les dommages collatéraux, mais je vous promets de vous tenir au courant », lance-t-elle, rageuse, au président du tribunal, Bernard Lemaire. Et puis, « les gens disent que c’était entre adultes consentants, presque qu’on aimait ça ». Donc Jade est venue pour rétablir la vérité. « Je ne supporte pas l’expression “argent facile”. » Elle a mis une perruque châtain clair, des lunettes, une écharpe et un large pull noir. Aujourd’hui âgée d’une quarantaine d’années, elle s’exprime d’une voix douce, avec des mots simples et précis et livre un témoignage édifiant sur le monde de la prostitution.

- « Comment avez-vous commencé ? lui demande Bernard Lemaire.
- En 2007, j’avais de gros soucis financiers, d’importants frais d’avocats à payer pour mon divorce et deux enfants trop petits pour être scolarisés. Un soir, j’ai ouvert mon frigo (sa voix se casse). Il était vide, ou presque, je me suis dit qu’il fallait que je me lance… J’étais morte de trouille. J’ai répondu à une annonce. J’ai composé sept ou huit fois le numéro avant d’appeler… »

Jade travaille ensuite dans un bar du proxénète belge Dominique Alderweireld où elle rencontre René Kojfer. L’ancien chargé des relations publiques du Carlton de Lille, aujourd’hui sur le banc des prévenus, la recrute pour venir « trois ou quatre fois » dans un appartement lillois. Elle s’y rend avec d'autres filles. « Quand on arrivait, il y avait souvent un pain garni et une bouteille de champagne. Les messieurs, qui étaient trois ou quatre, faisaient leur choix. C’était toujours le plus âgé (elle désigne Hervé Franchois, propriétaire du Carlton – NDLR), qui choisissait d’abord, il a toujours pris les plus jeunes. »

 « Vous aimiez vous rendre dans cet appartement ? demande le président.

– Ça me sortait du club, où j’avais l’extrême privilège de vivre dans une cave. »

Pour ces relations sexuelles, Jade est payée 200 euros. « Sauf une fois, où René (Kojfer – NDLR) m’a donné 125 euros et me disant “les temps sont durs”. » Et puis, il y a cet épisode dans un restaurant italien, où René Kojfer a fait venir des filles pour « égailler » un déjeuner. Jade raconte, la salle d’audience se fige : « Il y avait cette jeune femme qui n’avait pas vingt ans. Elle buvait beaucoup. Devant les toilettes, je voyais un défilé de mecs là-dedans. Cette jeune fille était couchée par terre, sur le carrelage, elle était ivre morte. Elle avait son pantalon et son slip sur les genoux. Le serveur est arrivé avec des préservatifs. Je sais pas combien lui sont passés dessus. Je n’ai pas pu l’aider (sa voix se brise). »

Jade est sortie de la prostitution depuis cinq ans, avec l’aide du Mouvement du nid. « Sans eux, je ne serais pas là », répète-t-elle à la barre.

« Quel est votre sentiment à l’égard des personnes qui comparaissent aujourd’hui ? demande le président.

– Je n’ai pas de grief, je ne suis animée par aucun esprit de vengeance. »

Dans l’après-midi, une autre ancienne prostituée, Sonia (1), a témoigné rapidement à la barre, sans réussir à arrêter ses sanglots. Elle était réceptionniste avant d’être licenciée à cause de problèmes de santé et de se prostituer occasionnellement. « Personne ne m’a forcée, on ne m’a parlé que du bon côté des choses. Mais je peux vous dire, monsieur le président, qu’il n’y a pas de bons côtés. »
(1) Seuls les pseudos des anciennes prostituées sont mentionnés.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire