Ce n'est pas le naufrage redouté.
Mardi, lors de sa plaidoirie, Martin Reynaud, avocat de l'un des sept
pirates somaliens jugés depuis quinze jours devant la cour d'assises
de Paris, avait cité ces mots des Misérables de
Victor Hugo : « Il y a dans notre civilisation des
heures redoutables ; ce sont les moments où la pénalité prononce
un naufrage ». Les six jurés populaires - trois hommes et
trois femmes - et les trois magistrats professionnels l'ont semble
t-il entendu en ne suivant pas les lourdes réquisitions de l'avocate
générale. Alors que la représentante du ministère public avait
réclamé de seize à vingt-deux ans de réclusion criminelle, les
sept pirates somaliens - qui risquaient la perpétuité - ont été
condamnés hier soir à des peines de six à quinze ans
d'emprisonnement. « Un verdict sévère, mais pas
disproportionné », résume Martin Pradel, avocat de la
défense.
Après neuf heures de délibéré, le
président Philippe Jean-Draeher a longuement égrené la liste des
55 questions auxquelles la cour devait répondre. Sans surprise, les
accusés ont tous été déclarés coupables de détournement d'un
navire en bande organisée ayant entraîné la mort, d'enlèvement et
séquestration en bande organisée, de vol avec arme en bande
organisée mais ont été acquitté du chef d'association de
malfaiteurs. Sans doute, la cour a t-elle considéré que ces hommes
n'étaient pas les « pirates d'habitude » décrits par la
représentante du ministère public.
Le plus jeunes des accusés, Fahran
Abchir Mohamoud, 16 ans au moment des faits, jugé comme un majeur,
devenu schizophrène durant ses quatre ans et demi de détention
provisoire, opéré à son insu d'un poumon, a été condamné à la
peine la plus légère : six années de prison, très loin des
réquisitions de l'avocate générale qui avait réclamé vingt ans
et une interdiction définitive du territoire français. Son avocate
Me Élise Arfi avait livré une belle plaidoirie en citant L'homme
révolté d'Albert Camus : « Au fond des prisons, le rêve
est sans limites » : « Fahran n'a qu'un rêve :
retourner en Somalie ». A l'énoncé du verdict, l'avocate et
le jeune accusé, tous deux en pleurs, se tenaient la main à travers
les ouvertures de la paroi de verre du box des accusés.
Les autres peines prononcées s'étalent
de onze à quinze ans d'emprisonnement, sans que la hiérarchie de ce
quantum ne soit très évidente à comprendre... Quinze ans pour
Ahmed Akid Abdullah, qui avait dépouillé Évelyne Colombo de ses
bijoux - notamment de son alliance - en braquant son arme sur elle.
Un acte dénoncé comme « particulièrement cruel » par
l'avocate générale. Quinze ans aussi pour Farhan Abdissalam Hassan,
qui s'était évanoui pendant les débats à cause d'une rage de
dents non soignée depuis 45 jours. Il était pourtant l'un des seuls
à s'être rendu lors de l'attaque des militaires espagnols. Mais
avait été retrouvée dans son short une carte sim « en lien
avec la piraterie somalienne » d'après l'accusation. Mohamed
Ahmed Hersi, chargé de la surveillance d’Évelyne Colombo durant
les deux jours sur le skiff et qui avait braqué une kalachnikov sur
la tempe de la veuve lors de l'assaut espagnol est condamné à
quatorze années de prison. Treize ans pour Brug Ali Artan, surnommé
« le boiteux », un «repenti» pour l'avocate générale
qui avait requis la plus lourde peine contre lui – 22 ans. Enfin,
Mohamed Mousse-Farah, qui avait un temps tenu la barre du skiff des
pirates et Saïd Ahmed Djama, caché dans une trappe tout au long de
l'expédition, sont condamnés à onze ans d'emprisonnement.
Un goût de justice inachevée
A l'énoncé du verdict, comme durant
les deux semaines et demi d'audience, Évelyne Colombo assise très
droite sur le banc des parties civiles, n'a pas eu un regard vers le
box des accusés. Plus tôt dans la journée, la veuve de Christian
Colombo avait publié ces mots sur facebook : « Cela fait
un peu plus de quatre ans que notre verdict est tombé... Perpétuité
sans réduction de peine possible. Il y aura un verdict aujourd'hui,
il ne nous satisfera pas ». Jusqu'au bout, malgré les excuses
répétées et parfois en pleurs des accusés, Évelyne Colombo a
refusé son pardon à ces « assassins » dont elle ne
voulait pas croiser le regard.
Si les peines prononcées hier soir
paraissent moins scandaleuses que les réquisitions, ce procès qui
sera sans doute le dernier de pirates somaliens en France, laisse
malgré tout un goût amer, celui d'une justice inachevée. Ni le
président de la cour, ni l'avocate générale, ni les parties
civiles n'ont semblé vouloir comprendre d'où venaient les sept
hommes assis dans ce box à 7000 kilomètres de chez eux. Les experts
géopolitiques cités par la défense sont renvoyés dans leurs
cordes. Les circonstances dans lesquelles ces sept accusés ont
commis leur crime sont jetées aux oubliettes. Pas un mot, pendant
les deux semaines et demi de débats, sur la piraterie, à son apogée
en 2011, ni sur ses causes dans un pays sans état, ayant sombré
depuis longtemps dans le chaos.
Devenus pirates pour « ne pas
mourir de faim »
Loin du mythe des flibustiers
sanguinaires, les accusés ont raconté leur vie misérable dans une
somalie chaotique. Ils étaient pêcheurs, cueilleur d'encens,
chauffeur de taxi ou apprenti mécanicien, gagnaient quelques dollars
par mois et sont devenus pirates pour « nourrir leurs enfants »
ou « ne pas mourir de faim ».
Mais « il n'existe pas de crime
alimentaire » avait asséné lundi l'avocate générale Sylvie
Kachaner dans son réquisitoire. Et de se lancer dans un parallèle
douteux avec les Kényans champions du marathon de Paris :
« Comment les qualifieraient-on ? Faméliques ? Nous
sommes tous obèses. » Comble du cynisme, l'avocate générale
avait requis l'interdiction définitive du territoire français pour
tous les accusés. Si ces derniers n'ont jamais demandé à venir en
France, certains veulent aujourd'hui rester. Inexpulsables, la
Somalie étant un pays en guerre, mais interdits de territoire, ils
se seraient retrouvés dans un no man's land judiciaire dès le seuil
de la prison franchie. La cour n'a prononcé aucune interdiction du
territoire.
Au milieu de ce marasme judiciaire, les
plaidoiries des avocats de la défense - tous commis d'office -
auront été salutaires (lire « Quel est le sens d'une justicequi juge les restes d'un homme ? »). « Quel est la
juste peine ? » se sont interrogés plusieurs d'entre eux,
quand les réquisitions sont les mêmes pour ces pirates qui ne sont
pas poursuivis pour la mort de Christian Colombo que pour le braqueur
multirécidiviste Rédoine Faïd, accusé du meurtre d'une policière
municipale et jugé à quelques mètres de là ; quand le
génocidaire Pascal Simbikangwa a été condamné il y a deux ans
dans cette même cour d'assises à 25 ans de réclusion criminelle.
« Une justice dure avec les
étrangers ? »
« Veut-on une justice dure avec
les faibles ? Tendre avec les nôtres et dure avec les
étrangers ? » s'interroge Me Thomas Heinz qui évoque
quant à lui l'affaire du gang des barbares, « l'une des plus
horribles de ces dernières années » et ses condamnations de
cinq à dix-huit ans de prison. « C'est une folie, lance t-il à
l'avocate générale, de demander seize ans de prison pour un homme
qui ne faisait qu'écoper et qui ne savait pas ce qu'il allait faire
dans cette galère. » Son client, Mohamed Mousse-Farah, a été
condamné hier soir à onze ans d'emprisonnement.
Hier matin, alors que le président de
la cour leur donnait la parole pour la dernière fois, les sept
hommes agglutinés dans le box se sont levés les uns après les
autres, pour présenter encore une fois et avec l'aide des
interprètes, leurs excuses à « Mme Colombo ». Plusieurs
ont demandé à leurs juges d'être « indulgents ». Brug
Ali Artan s'est effondré en pleurs après avoir présenté ses
excuses aux victimes : « J'ai tellement envie de voir ma
famille et mon pays ». Il a été condamné hier soir à treize
ans de prison.
En terminant sa plaidoirie, Me Martin
Reynaud avait rappelé que les pirates somaliens ne bénéficieraient
sans doute d'aucune libération anticipée, n'ayant pas de garanties
de représentation en France. Il avait alors eu ces mots pour les
jurés : « Je vous demande de penser à jeudi matin, ce
sera le premier jour du reste de leur peine. Et ce sera long ».
Son client a été condamné à quinze ans de prison.
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