Sans doute la plaidoirie couvait depuis
le 20 septembre 2011, date à laquelle Me Elise Arfi est commise
d'office auprès de Fahran Abchir-Mohamoud. Elle a éclaté hier soir
à 19h30 devant la cour d'assises de Paris. Un grand moment de
justice pour un procès qui semblait jusqu'ici si insensible, si
distant au sort des accusés. Une ode au métier d'avocat, dernière
figure auprès de ceux qui n'ont plus rien. « Je suis la seule
personne qu'il ait en France, reconnaît Me Arfi. La seule à le
visiter en prison, à lui envoyer de l'argent. »
Il est le « pirate numéro 7 ».
Un visage rond juvénile, assis au deuxième banc, derrière les six
autres. En veste de jogging noire, il se confond avec les gendarmes
qui l’entourent. Le regard dans le vide la plupart du temps,
parfois un bâillement, il n'entend sans doute pas grand chose des
traductions que l'interprète dispense à voix basse deux bancs
devant lui.
« Cette affaire, rappelle Me
Arfi, c'est la collusion de deux mondes qui n'auraient pas dû se
rencontrer. » Le 8 septembre 2011, neuf pirates somaliens
attaquent le Tribal-Kat, catamaran de Christian et Evelyne Colombo.
Lui meurt, elle est séquestrée pendant deux jours et deux nuits,
avant d'être libérée par des militaires espagnols. Deux pirates
sont tués, sept arrêtés et transférés en France.
Quand il arrive à Roissy ce 20
septembre 2011, Fahran Abchir-Mohamoud donne sa date de naissance :
17 août 1995. Faux répondent les autorités qui lui imposent les
très contestables tests osseux. Il est déclaré majeur. Personne ne
s'intéressera plus à son âge, à part l'enquêtrice de
personnalité qui appellera sa mère en Somalie. Elle confirme la
naissance en 1995. « Fahran, il ne devrait même pas être là,
explique son avocate. Comme mineur, au delà de deux ans de détention
provisoire, il aurait dû être libéré. C'est un combat procédural
que j'ai perdu il y a deux ans en cassation et qui me ronge. »
« Je voudrais, dit-elle encore, qu'après cette audience, il
n'y ait plus aucun mineur jugé comme un majeur, parce que j'ai vu
les dégâts. »
Depuis quatre ans et demi qu'il est en détention provisoire, Fahran a écumé les prisons. « Depuis
sa Somalie natale, il est passé directement à Fresnes. Je ne sais
pas si vous connaissez cette prison, mesdames et messieurs les jurés,
il y a des rats qui courent dans les coursives. » Parce qu'il
ne comprend sans doute pas les consignes, il est vu par le personnel
pénitentiaire comme récalcitrant. Les « brimades » des
mâtons se multiplient. Privé de musique, de chaussures, de douches.
En mars 2012, lors d'une intervention d'une équipe régionale
d'intervention et de sécurité (ERIS, le GIGN de la pénitentiaire),
on lui casse le bras en le jetant au sol. En mai 2012, il subit une
ablation du poumon gauche. Une intervention vitale mais dont il n'a
pas été prévenu. « Je l'ai revu trois semaines plus tard, sur le
plan psychiatrique tout avait basculé », raconte Me Arfi.
Fahran Abchir-Mohamoud est
schizophrène, mais pas encore soigné. On le met au mitard. Il
essaye de se pendre avec une couverture, est « sauvé in
extremis ». « Regardez-le, lance Me Elise Arfi à la Cour
et aux jurés. Regardez ce jeune homme. A l'intérieur, il est
absent. C'est une coquille vide, une poupée de chiffon. Il est
complètement détruit. Il a dû puiser dans ce qui lui restait de
dignité pour venir devant vous. »
« On devrait se poser la question
d'un système pénal qui fabrique des fous », poursuit
l'avocate, qui conclut : « Quel est le sens d'une justice
qui juge les restes d'un homme ? » Et de citer Albert
Camus : « Au fond des prisons, le rêve est sans
limites » : « Son rêve à lui est de retourner en
Somalie. » Élise Arfi sort en larmes de la cour d'assises,
plusieurs journalistes aussi.
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