lundi 4 avril 2016

Au procès du Tribal-Kat, la veuve face aux pirates

Aucun échange de regards. Droite, face aux jurés et aux juges, en prenant bien soin de ne pas glisser ses yeux vers les accusés, Évelyne Colombo a raconté, lundi matin, devant la Cour d'assises de Paris, la journée du 8 août 2011 et celles qui ont suivi. Dans le box, les sept pirates somaliens, qui risquent la prison à perpétuité, baissent la tête, visages graves. Leurs noms ? Évelyne Colombo avoue qu'elle n'a « pas réussi à les retenir ». Comme beaucoup ici, elle les désigne par des numéros : « Pirate numéro 1, 2, 3, 4, 5, 6 ou 7 ».
« J'évite de les regarder dans les yeux, reconnaît la veuve de 58 ans. L'un d'eux cherche mon regard, ça me déstabilise.
- Vous voulez dire qu'il vous provoque ?, s’inquiète son avocat.
- Non, il veut capter mon regard. »

Élégante avec un chemisier blanc et un foulard rose pâle, ses cheveux gris coupés court et des perles aux oreilles, Évelyne Colombo raconte le « rêve d'une vie » : partir une « dizaine d'années » pour un tour du monde en bateau. En 2008, le couple termine la construction du Tribal-Kat, un catamaran de trente tonnes, assez grand pour accueillir famille et amis durant les longues escales. Une idée de Christian ce tour du monde, un pari avec la vie, après un cancer des poumons huit ans plus tôt. « Ça a été difficile de tout quitter, se souvient Évelyne Colombo, mais ça devait être une belle expérience. » Elle dit aussi : « S'il m'avait dit qu'on ne partait pas, j'aurais été ravie. Il m'a dit qu'on partait, j'étais ravie aussi. »
 
Le rêve devient cauchemar le 8 septembre 2011. Le couple avait quitté le golfe d'Aden cinq jours plus tôt en direction du sultanat d'Oman, une zone réputée dangereuse. Vers 16 heures, ils entendent des rafales de balles toucher la coque en aluminium du catamaran :

« On s'est accroupi, se souvient Évelyne Colombo d'une voix tremblante. Christian m’a poussée à l'intérieur du bateau. Il m’a dit ‘’C'est une attaque ! Mayday, mayday, donne notre position’’, ce sont ses dernières paroles. Il est ressorti accroupi, ça tirait de partout. J'avais très très peur. J'ai lancé l'alerte. Puis, d'un seul coup, il y a eu un grand silence. Je me suis retournée et il y avait deux hommes qui me menaçaient et me faisaient signe de sortir. J'ai alors aperçu le corps de Christian, il était la joue sur le sol, la tête dans le sang, comme une prière. »
 
Les pirates restent plus d'une heure à bord, pillant le navire : argent, vêtements, appareils photos... « Même un stylo Mont Blanc », s'offusque le président du tribunal. On fait ouvrir le coffre fort. « Nous n'avions que 400 dollars dedans », précise Évelyne, qui ne semble pas se rendre compte de la somme que cela représente pour des Somaliens. Elle est ensuite dépouillée de ses bijoux. « Je me suis mariée à 21 ans, mon alliance c'était mon seul lien avec Christian, je ne voulais pas la donner. » Elle cède sous la menace d'une kalachnikov. Puis note, dans le livre de bord : « 16h15, Christian est décédé ». « Il fallait que ce soit écrit », dit-elle aujourd'hui.

Rapidement, les pirates se rendant compte de la lenteur du catamaran, décident de retourner dans leur skiff, une frêle embarcation qui prend l'eau. Ils emmènent Évelyne avec eux et, juste avant le quitter le Tribal-Kat, jettent le corps de Christian Colombo à la mer. « J'ai crié, se souvient Évelyne, je leur ai dit en anglais ‘’Vous êtes des assassins !’’ Ils m'ont répondu de me taire. »
 
Dans le skiff, il y a déjà une trentaine de centimètres d'eau. « Pendant ces quarante-huit heures, je vous avoue que je n'ai beaucoup dormi, peut-être pour échapper à l'horreur, peut-être pour me protéger, je ne sais pas. J'étais trempée comme dans une baignoire d'eau de mer, on était sans arrêt aspergés, des seaux d'eau. Ça bougeait tellement que j'avais mal partout. J'ai pensé ‘’C'est un cadavre qu'ils vont avoir à l'arrivée’'. » Évelyne n'y voit rien, elle a perdu ses lunettes. Elle reste sur un matelas, cachée sous une bâche en plastique, au milieu des bidons d'essence et des armes. On lui donne une boite de thon à manger, une bassine pour faire ses besoins.

A plusieurs reprises, l'embarcation est survolée par un hélicoptère, puis les militaires espagnols donnent l'assaut. Évelyne a alors trois kalachnikov braquées sur elle, « sur ma joue, mon cou, ma nuque » : «Ils avaient les mains sur les gâchettes, vu comme ça tanguait, j'ai pensé que ça allait partir. » Sous la violence de l'assaut, deux pirates sont tués, l'embarcation gîte, Évelyne Colombo se retrouve à l'eau, avant d'être récupérée par les militaires et rapatriée quelques jours plus tard en France.

La parole est à la défense. Doucement, une avocate glisse à Évelyne Colombo : « Je suis navrée Madame, mais il va falloir que vous regardiez mon client. » Un demi-tour vers la gauche et, enfin, les pirates et la rescapée se font face. Le procès du Tribal-Kat doit durer jusqu'au 15 avril.

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