Aucun
échange de regards. Droite, face aux jurés et aux juges, en prenant
bien soin de ne pas glisser ses yeux vers les accusés, Évelyne
Colombo a raconté, lundi matin, devant la Cour d'assises de Paris,
la journée du 8 août 2011 et celles qui ont suivi. Dans le box, les
sept pirates somaliens, qui risquent la prison à perpétuité,
baissent la tête, visages graves. Leurs noms ? Évelyne Colombo
avoue qu'elle n'a « pas réussi à les retenir ». Comme
beaucoup ici, elle les désigne par des numéros : « Pirate
numéro 1, 2, 3, 4, 5, 6 ou 7 ».
« J'évite de les regarder dans les yeux,
reconnaît la veuve de 58 ans. L'un d'eux cherche mon
regard, ça me déstabilise.
Le rêve devient cauchemar le 8 septembre 2011. Le
couple avait quitté le golfe d'Aden cinq jours plus tôt en
direction du sultanat d'Oman, une zone réputée dangereuse. Vers 16
heures, ils entendent des rafales de balles toucher la coque en
aluminium du catamaran :
« On s'est accroupi, se souvient Évelyne Colombo
d'une voix tremblante. Christian m’a poussée à l'intérieur du
bateau. Il m’a dit ‘’C'est une attaque ! Mayday, mayday,
donne notre position’’, ce sont ses dernières paroles. Il est
ressorti accroupi, ça tirait de partout. J'avais très très peur.
J'ai lancé l'alerte. Puis, d'un seul coup, il y a eu un grand
silence. Je me suis retournée et il y avait deux hommes qui me
menaçaient et me faisaient signe de sortir. J'ai alors aperçu le
corps de Christian, il était la joue sur le sol, la tête dans le
sang, comme une prière. »
Les
pirates restent plus d'une heure à bord, pillant le navire :
argent, vêtements, appareils photos... « Même un stylo Mont
Blanc », s'offusque le président du tribunal. On fait ouvrir
le coffre fort. « Nous n'avions que 400 dollars dedans »,
précise Évelyne, qui ne semble pas se rendre compte de la somme que
cela représente pour des Somaliens. Elle est ensuite dépouillée de
ses bijoux. « Je me suis mariée à 21 ans, mon alliance
c'était mon seul lien avec Christian, je ne voulais pas la donner. »
Elle cède sous la menace d'une kalachnikov. Puis note, dans le livre
de bord : « 16h15, Christian est décédé ». « Il
fallait que ce soit écrit », dit-elle aujourd'hui.
Rapidement,
les pirates se rendant compte de la lenteur du catamaran, décident
de retourner dans leur skiff, une frêle embarcation qui prend l'eau.
Ils emmènent Évelyne avec eux et, juste avant le quitter le
Tribal-Kat, jettent le corps de Christian Colombo à la mer. « J'ai
crié, se souvient Évelyne, je leur ai dit en anglais ‘’Vous
êtes des assassins !’’ Ils m'ont répondu de me taire. »
Dans le skiff, il y a déjà une trentaine de
centimètres d'eau. « Pendant ces quarante-huit heures, je vous
avoue que je n'ai beaucoup dormi, peut-être pour échapper à
l'horreur, peut-être pour me protéger, je ne sais pas. J'étais
trempée comme dans une baignoire d'eau de mer, on était sans arrêt
aspergés, des seaux d'eau. Ça bougeait tellement que j'avais mal
partout. J'ai pensé ‘’C'est un cadavre qu'ils vont avoir à
l'arrivée’'. » Évelyne n'y voit rien, elle a perdu ses
lunettes. Elle reste sur un matelas, cachée sous une bâche en
plastique, au milieu des bidons d'essence et des armes. On lui donne
une boite de thon à manger, une bassine pour faire ses besoins.
A plusieurs reprises, l'embarcation est survolée par un
hélicoptère, puis les militaires espagnols donnent l'assaut.
Évelyne a alors trois kalachnikov braquées sur elle, « sur ma
joue, mon cou, ma nuque » : «Ils avaient les mains sur
les gâchettes, vu comme ça tanguait, j'ai pensé que ça allait
partir. » Sous la violence de l'assaut, deux pirates sont tués,
l'embarcation gîte, Évelyne Colombo se retrouve à l'eau, avant
d'être récupérée par les militaires et rapatriée quelques jours
plus tard en France.
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