vendredi 23 juin 2017

La chute de Sidney Amiel, avocat «brillant» et «pervers»

Dix ans d'emprisonnement ont été requis hier par l’avocat général contre cet ancien ténor du barreau de Chartres, jugé depuis trois semaines pour viol et agressions sexuelles. Dans l'attente du verdict, esquisse de portrait.

Chaque matin, depuis trois semaines, Sidney Amiel entre dans la salle d'audience de la cour d'assises de Versailles où il comparait libre, pose sa veste bleu marine sur le dossier de sa chaise, s'assoie et prend des notes. L'ancien avocat de 67 ans, accusé de viol et d’agressions sexuelles aggravées, noircit chaque jour des dizaines de feuilles. Quand la journée touche à sa fin et que la présidente le convoque à la barre, Sidney Amiel réfute point par point les accusations portées contre lui. Las, il se perd en circonvolutions, jugements hâtifs et petites méchancetés, agace jusqu'à son avocat qui lui conseille, excédé, de faire «l'effort de répondre par ‘’oui’’ ou par ‘’non’’ avec des phrases simples ».

Petit, chauve, bronzé, un regard bleu perçant derrière des lunettes en écaille, Sidney Amiel est déroutant. Imperturbable, il reste tranquillement assis sur sa chaise d'accusé quelques soient les événements (et il y en a eu un certain nombre durant ces trois semaines d’audience). Constant aussi dans sa ligne de défense, il ne lui concède aucune variation. Il est « l’objet d’une vengeance terrible », un « hallali », un complot à plusieurs têtes : policiers, « avocates jalouses », antisémites envieux de sa « réussite », direction de Flextronics (dont il a défendu les salariés), voire, « peut être », d'un « cabinet noir à la chancellerie »… Sidney Amiel n'en démord pas. Seul contre tous, il livre sa bataille, quitte à perdre toute crédibilité quand la multitude et la concordance des témoignages l'accablent. Durant trois semaines, elles ont été des dizaines à défiler à la barre pour raconter, entre sanglots et silence, les «mains baladeuses », les baisers forcés plaquées contre une porte et, pour certaines, les viols « sur le sol, le bureau, la bibliothèque ». Presque la totalité des dossiers sont prescrits, seules cinq femmes ont pu porter plainte, dont sa belle-fille qui l'accuse d'atteintes sexuelles quand elle avait entre treize et quinze ans.

« Je brûle de répondre à vos questions », a lancé Sidney Amiel à la cour au premier jour de ce procès fleuve. Il adore se raconter, mais ses longues phrases ne mènent nul part. « Il ne sait pas ouvrir son cœur », a plaidé hier son avocat, Frédéric Landon. De fait, aucune émotion ne transperce. Hier, en fin d'après-midi, quand l'avocat général a requis une peine « particulièrement sévère » contre lui, « environ dix ans d'emprisonnement », l'ancien avocat a levé son stylo, regardé fixement devant lui, comme sonné. Durant ces trois semaines de procès, sa seule émotion aura été un silence de plusieurs secondes quand, au premier jour des débats, la présidente lui demanda de parler de son enfance au Maroc. « Une enfance heureuse, très heureuse », finit-il par répondre. Sidney Amiel est né en 1949 à Casablanca dans une famille juive, d'un père tailleur et d'une mère au foyer. La famille arrive à Paris en 1955, un « déracinement ». Quelques années plus tard, à la fac de droit d’Assas, il milite à l’Unef et « bataille » contre « les fascistes du GUD ». Le futur élu de l'opposition au conseil municipal de Chartres adhère au parti socialiste en 1973 «parce que Chevènement avait pesé sur l’orientation ». Il enchaîne « 1000 métiers pas bien payés », reste au chômage plusieurs mois avant de trouver un stage à Chartres. Le 1er septembre 1980, il y pose sa plaque d'avocat. Deux ans plus tard, son frère meurt d’une overdose. Sidney Amiel fait une « dépression qu’il ne soigne pas », « se surinvestit dans le travail ». « Mon nom a commencé à être connu, respecté et je suis devenu l’avocat de la CGT. » Un aboutissement pour celui qui dit s'être « toujours astreint à défendre les plus faibles ».

Un autre portrait que cet avocat des pauvres émerge de l'audience. Du temps de sa splendeur, Sidney Amiel roule en porsche jaune décapotable et fait creuser une piscine dans son cabinet. Tous ceux qui sont passés par ces locaux décrive l’ambiance « particulière » qui y régnait : les blagues « salaces » (lui dit « gauloises »), les associés qui se saluent d’un « Bonjour salope ! Salut pédé ! ». Lui surnomme ses collaboratrices « salopes » ou « pétasses ». A peine reconnaît-il du bout des lèvres quelques « mauvaises blagues », comme cette fois où il avait lancé à une secrétaire, après l'avoir écoutée uriner derrière la porte des toilettes, « Tu as le jet long et régulier, c'est signe de bonne santé. »

Dans la petite ville de Chartres, sa réputation le précède : « homme à femmes », « Casanova », « coureur de jupons »… Il se marie une première fois à 23 ans, divorce après 26 ans de mariage quand sa femme découvre que son associée est sa maîtresse depuis des années. Elle le restera après son deuxième mariage avec une « artiste peintre » dont il a divorcé récemment. « En réalité, a cinglé hier l'avocat général, je crois que Sidney Amiel, n'aime pas les femmes. Nous avons bel et bien affaire à un obsédé sexuel qui ne se contrôle pas. Il se comportait dans sa sexualité de manière brutale, soudaine et très brève ». En témoigne cette avocate venue raconter ses multiples viols (prescrits) à l'audience. « J’étais un objet sexuel. Ça veut dire pénétration éjaculation ». La présidente donne la parole à l'ancien avocat : « Je l’ai beaucoup aimée », dit-il sans sourciller tandis que la témoin restée dans le public ouvre des yeux écarquillés. « Il n’était pas doué pour les choses de l’amour, dit pudiquement sa deuxième femme. Parfois violent, très peu respectueux de la femme ». Un « pervers » pour sa belle-fille, qui assure qu'il se baladait nu chez lui en la regardant lorsqu'elle était adolescente.

« Je crois que nous ne sommes pas dans un schéma de perversité mais de domination, veut croire, pour sa part, Me Pierre-Ann Laugery, avocat d'une partie civile. Sidney Amiel est dans la toute-puissance, capable de tout pour assouvir ses fins, pour pressurer, pour avilir, jusqu'à être sympathique, rigolo même. » Ses victimes, mais aussi ses associés, le décrivent comme un menteur, un manipulateur, tyran et pervers. A l’une de ses collaboratrices qu’il harcèle moralement et sexuellement, il avait offert le livre « Harcèlement » avec cette dédicace : « Sans rancune, Sidney Amiel ». Son ancienne maîtresse, présentée comme son « âme damnée » par les enquêteurs, est arrivée en pleurs à la barre : « J'ai compris que je m'étais bercée d'illusions que je n'avais jamais eu affaire à la personne que je croyais.» Et puis, il y a cette anecdote racontée par sa belle-fille Andréa. Quand, pendant l’enquête, on lui demande pourquoi elle refuse la confrontation avec son beau-père, elle répond : « Il m'a toujours dit que lorsque l'on était accusé, il fallait nier... »

L'accusé n’est pas aidé par les témoins cités par la défense. Certes, ils décrivent son « professionnalisme », sa « rigueur », sa « capacité à défendre les salariés ». C’est un « méditerranéen», disent-ils maladroitement pour expliquer son « sens du contact ». Et puis, il y a cet ami qui dès le premier jour d’audience lance à la cour : « Moi aussi j’ai été victime de rumeur, on a dit que je voulais ouvrir un restaurant de couscous avec des Arabes ». Et cette ancienne députée socialiste, Françoise Vallet, qui avait pris, dès 2010, la tête de son comité de soutien et affirme, bravache : « Je suis une féministe acharnée mais je pense qu'une femme doit pouvoir se défendre et empêcher une agression, je suis assez peu enclin à considérer qu'une femme est une pauvre chose. »

Poussé dans ses retranchements par son avocat et l'avocat général en début de semaine, Sidney Amiel a concédé une « position de séducteur à un niveau trop fort ». « Ça a sûrement un rapport avec ma mère, très très aimante, une maman bisous, comme moi je suis un papa câlin ». L'introspection n'ira pas plus loin. Hier, son avocat a tenté d'amadouer les jurés : « Souvenez-vous de ce gamin arrivé à l'âge de six ans. Ce n'est pas le diable, c'est un homme qui vient vous dire de façon maladroite qu'il n'a pas commis ces faits. Il est aujourd'hui un homme brisé, qui a tout perdu en assiste à sa mise à mort judiciaire ». Sidney Amiel encourt quinze ans de réclusion criminelle. Si les six jurés et les trois magistrats professionnels le déclarent coupable aujourd'hui, le brillant avocat de Chartres pourrait dormir ce soir en prison.

1 commentaire:

  1. Magnifique article très bien rédigé et félicitations d'un ancien avocat, non pervers qui a eu son petit moment de gloire très éphémère ?

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