Depuis le début du
procès de l’ancien avocat Sidney Amiel, accusé de viol et d’agressions
sexuelles devant la cour d’assises de Versailles, elle se présente
chaque matin les yeux rougis et les traits tirés, s’assoit au premier
rang des parties civiles et écoute en silence. Hier matin, Françoise (1)
s’est présentée face aux trois magistrats et aux six jurés désignés par
le sort et a parlé. D’une voix douce, souvent entrecoupée de sanglots
et de silences, elle a raconté ce qu’elle avait tu pendant sept ans. A
son mari, à sa famille, à ses amis. «Le silence est tellement
confortable, dit-elle. On n’a que soi à gérer. Quand on parle, on doit
aussi gérer les autres.» Depuis qu’elle a mis des mots sur ce qui lui
est arrivé, Françoise a divorcé de son mari, s’est brouillée avec sa
sœur. «Pour vos proches, le viol est un sujet tabou. C’est sale, on a
honte, on a du dégoût.»
Françoise
est recrutée au cabinet Amiel en septembre 2000. Elle est arrivée huit
mois plus tôt à Chartres, n’y connaît personne, mais a entendu la bonne
réputation de ces avocats spécialisés en droit du travail. Il y a bien
des rumeurs sur le «turn-over important des collaboratrices», «mais je
ne crois que ce que je vois. J’ai vu.» Le cabinet Amiel, c’est d’abord
une ambiance : tutoiement obligatoire, blagues salaces permanentes. Quand
il revient d’une permanence avec sa maîtresse, il lance à la cantonade :
«Qui veut les restes?» Quand il recrute une nouvelle collaboratrice, il
dit «Je prends S. par devant, F. par derrière et elle pour la pipe». La
première «scène», comme Françoise les appelle, arrive «très
rapidement»: alors qu’elle est au téléphone avec une cliente, il fait le
tour de son bureau, pose ses mains sur ses épaules, sa nuque. Après
avoir raccroché «illico», elle va le voir: «Ce que tu as fait, tu ne le
fais plus». Il rit.
«C’était
pas tous les jours, mais il y avait bien une scène par semaine» : les
«caresses sur les cuisses» dans la voiture quand elle conduit, les
courses poursuites dans son bureau, les déclarations d’amour
«pathétiques». «On apprend à adapter sa tenue vestimentaire, souffle
Françoise. On ne met plus de jupes ni de décolletés. J’ai, depuis, une
bonne collection de foulards». Elle tient. «Vous venez d’arriver dans la
région, vous devez terminer votre stage, si vous n’allez pas jusqu’au
bout, vous ne pourrez pas poser votre plaque. Vous venez d’acheter une
maison, vous avez des enfants, un mari, donc vous tenez.»
Sidney
Amiel s’immisce dans sa vie, appelle à son domicile, lui demande des
nouvelles de sa mère malade, son «côté paternaliste». «Et puis un
jour... un lundi.» Françoise tente de poursuivre, la voix brisée. «C’est
compliquée de venir ici raconter ça, l’intimité qu’on a cachée pendant
sept ans...» Mais finit, entre deux silences, par se confier: «Dans son
bureau (silence), il m’a plaquée contre une porte. Il a tenté de
m’embrasser, j’ai évité. Il m’a embrassée. (silence) Il a mis sa main
dans mon pantalon, puis dans ma culotte (silence). Il a introduit un
doigt dans mon vagin (silence). Je n’ai rien pu faire.» Les yeux
toujours dans ceux des juges et des jurés, elle s’agrippe à la barre.
«Je suis sortie du bureau, je ne comprenais pas ce qui m’était arrivé.
Quand je suis retournée le voir, il avait un sourire narquois. Je lui ai
dit ‘Je démissionne’.» Elle fera ses deux mois de préavis avant de
quitter le cabinet: «Je n’avais pas les moyens de payer les mois de
salaire qu’il aurait pu me demander.» Françoise ne parle à personne,
mais change : les migraines apparaissent, la perte de poids aussi - «je
descends à 48 kg».
Et
puis, sept ans plus tard, en juillet 2010, une cliente porte plainte
pour agression sexuelle contre Sidney Amiel. Les enquêteurs contactent
Françoise. Au premier interrogatoire, elle raconte un baiser forcé. «Je
suis avocate, est-ce que j’avais la notion que c’était des agressions
sexuelles au quotidien? Pas nécessairement.» Elle demande à rencontrer
un juge d’instruction, mais ne parle toujours pas du viol. Ce n’est
qu’au troisième rendez-vous qu’elle l’évoque enfin. «La procédure est un
tsunami. Vous parlez devant des juges d’instruction que vous
connaissez, vous allez porter plainte dans des commissariats où vous
faites les gardes à vue comme avocate, vous croisez dans les tribunaux
les avocats de Sidney Amiel...» Elle «plaque tout», quitte Chartres,
redevient collaboratrice «dans un petit cabinet où il n’y a que des
femmes». A-t-elle songer à porter plainte avant?, l’interroge une jurée.
«C’est un avocat connu, un notable... Très honnêtement, je n’y ai même
pas pensé. Je devais finir mon stage. Mais si j’avais parlé, il n’y
aurait pas autant de victimes.»
Depuis
le début du procès, Sidney Amiel, lui, conteste les faits, soit en
évoquant de multiples «complots» («un cabinet noir à la chancellerie»,
des jalousies professionnelles, etc.), soit en parlant «d’histoires
d’amour consenties». Le procès est prévu pour durer encore dix jours.
Verdict attendu le 23 juin.
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