mercredi 6 février 2019

Au procès Baupin, de «l’infamie» à la «fierté»

Il y a un avant et un après leur passage à la barre. Avant, les mains triturées, la tête baissée, les regards inquiets. Après, les sourires qui éclatent, les chuchotis de félicitations entre elles. Souvent, elles restent debout, comme libérées. Mardi soir, les six accusatrices de Denis Baupin, qui comparaissent jusqu’à demain pour diffamation suite à une plainte de l’ancien député écologiste, ont défilé à la barre de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Durant près de six heures, elles ont raconté les harcèlements et agressions sexuelles qu’elles ont subis. Celles pour qui la justice ne passera jamais – le parquet a classé leurs plaintes pour prescription des faits – se sont saisies de cette audience pour raconter leur vérité. Le « banc de l’infamie », comme l’avait nommé un avocat à l’ouverture des débats, est devenu celui de la « fierté » et de la « sororité ».


La première à se lancer est l’ancienne militante écologiste Laurence Mermet - le président de la chambre, Thomas Rondeau, les appelle par ordre de passage dans les articles de presse ayant révélé les faits. Un soir de réunion, Denis Baupin se glisse derrière elle et lui caresse la nuque. « C’était une caresse très douce, mais il y a des douceurs très violentes. J’avais les jambes qui tremblaient. Je l’ai repoussé. C’était mon supérieur hiérarchique. » Elle ne dit rien, jusqu’au 9 mai 2016, et à la première salve de témoignages contre l’élu écologiste, sur France Inter. « J’ai eu besoin d’être en sororité avec elles. Je ne pensais pas que ça avait eu autant d’importance dans ma vie. » A Emmanuel Pierrat, l’avocat de Denis Baupin qui lui demande pourquoi elle n’a pas porté plainte : « La voix de la servitude volontaire face à la domination masculine me disait que ça n’était pas grand chose... »

Vient ensuite Sandrine Rousseau, tailleur noir, cheveux courts, lunettes noires. Recrutée par EELV parce que «femme, issue de la société civile et provinciale», elle est catapultée, en 2011, en charge du dossier de l’accord programmatique avec le Parti socialiste, en binôme avec Denis Baupin. C’est lors de l’une de ces réunions de négociations, à la pause, que l’élu l’agresse : « Ça a été très furtif, il m’a plaquée contre le mur, m’a attrapé les seins et a essayé de m’embrasser. Je l’ai repoussé. J’étais flageolante, je suis allée aux toilettes, je me suis passée de l’eau sur le visage et je suis retournée travailler ». Elle «  ne cesse d’en parler », dit-elle, aux cadres du parti écologiste, à Jean-Vincent Placé qui lui répond «on sait», aux « membres des différentes directions ». Faute de pouvoir régler le problème « en interne », elle finit par décider de parler aux médias. « J’ai remis ma vie dans les mains de ces journalistes, dit-elle, la voix tremblante. On a eu le courage de parler. On a mis nos visages sur ces articles. Ça a été un tsunami... J’ai divorcé trois semaines avant la publication de l’article. J’ai dit à celui qui allait devenir mon ex mari ‘‘l’affaire Baupin va sortir’’, il m’a répondu ‘‘c’est en partie à cause de lui qu’on est là’’. » Sandrine Rousseau pleure. « On n’en avait jamais reparlé. Un couple avec trois enfants qui se sépare à cause d’un connard... Il faut le dire ici : on ne touche pas impunément au corps des femmes, ça a des conséquences. »

Elen Debost a, elle, été victime de harcèlement par SMS: « Ces journalistes, dit-elle à la barre en désignant Lénaïg Bredoux, de Mediapart, et Cyril Graziani, de France inter, également poursuivis, nous ont aidés à dire ce qui devait être dit, à protéger d’autres femmes, à mettre fin à l’impunité de cet homme. Mon seul regret est ne pas avoir trouvé le courage de le faire avant.»

Ces « messages quotidiens à caractère sexuel », l’ancienne députée Isabelle Attard les a aussi subis. « Je ne pensais pas dire ça un jour, mais je voudrais dire merci à Denis Baupin. Ce procès qu’on n’a pas choisi, nous permet de dire haut et fort, sans honte, ce que nous avons vécu, que ca sorte enfin. »

Si Annie Lahmer a décidé, un jour de printemps 2016, de parler aux journalistes de Mediapart et de France Inter à visage découvert, c’est pour ses filles: « J’ai pensé à elles, je me suis dit ‘‘C’est pas possible que ça continue’’. J’ai demandé à mes filles si elles étaient prêtes. Elles ont dit oui. Avec leur aval, j’ai accepté que mon nom soit mentionné. » Elle raconte une scène où Denis Baupin lui court après derrière un bureau. Elle le croise le lendemain. « Je lui dis bonjour, il ne répond pas, je lui dis ‘‘on ne couche pas avec toi, tu ne dis plus bonjour?’’. Il me répond ‘‘toi, tu n’auras jamais rien de ce parti’’. » C’est pour avoir répété cette dernière phrase à Mediapart et France Inter que la conseillère régionale EELV est aujourd’hui poursuivie devant la 17e chambre.

La dernière à se présenter à la barre est une haute fonctionnaire à la retraite.« Je ne suis pas quelqu’un de politique, je le revendique, je n’ai aucune carte », commence Geneviève Zdrojewski, qui raconte avoir été élevée chez les Dominicains, dans une famille bordelaise catholique. Elle a été chef de bureau du cabinet de Simone Veil, puis de Corine Lepage, avant d’atterrir chez Dominique Voynet, nommée en 1997 ministre de l’Environnement.

« Au début, ça n’était pas évident pour moi de les voir arriver. Denis Baudin (alors chef de cabinet, NDLR) avait des pulls rayés, c’était un autre genre... Un jour, je le voir entrer comme une furie dans mon bureau. Il s’est jeté sur moi, me mettant les mains aux seins... J’en tremble encore... Et pourtant, c’est vieux de vingt ans. Je me suis mise à hurler, il m’a dit ‘‘ta secrétaire va t’entendre’’, j’ai dit ‘‘c’est bien pour ça que je crie !’’. La deuxième fois, c’était dans les toilettes, exactement ce qu’a décrit Sandrine Rousseau.»
- «Vous n’avez pas porté plainte ?», l’interroge le président du tribunal.
- «Il y avait un sentiment de honte et de salissure, je n’allais pas parler de ça, de mon corps. Et puis, j’étais dans une situation professionnelle précaire. »
- Me Emmanuel Pierrat : «Est-ce que vous qualifieriez Denis Baupin de dragueur invétéré?»
- «Avec moi, il n’y a pas eu de drague, c’était violent, comme une pulsion. On rentre et on prend, c’est ça qui est horrible. »
- Pourquoi a-t-elle accepté de donner son nom?
- « J’ai beaucoup hésité. J’ai pensé à ma fille, à ma petite fille. Il fallait qu’on le fasse. Aujourd’hui, je suis fière. » 

Le procès se tient jusque vendredi. Aujourd’hui devrait être entendues, entre autre, les anciennes ministres Cécile Duflot et Emmanuelle Cosse, l’actuelle compagne de Denis Baupin.

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