mardi 4 février 2014

Génocide des Tutsi : vingt ans après, un procès en France

Il aura fallu attendre vingt longues années pour que le procès d’un présumé génocidaire rwandais s’ouvre enfin en France. Pascal Simbikangwa comparaît, à partir de ce matin et jusqu’au 14 mars, devant la cour d’assises de Paris, pour complicité de crimes contre l’humanité et complicité de génocide. Ce procès « historique », très attendu par les victimes et les associations de défense des droits de l’homme, s’annonce exceptionnel.

Pourquoi un procès à Paris ?

 

À partir de 9 h 30, ce matin, six Français tirés au sort devront suivre des semaines d’audience avant de se prononcer sur la culpabilité d’un présumé génocidaire rwandais. Une première en France qui s’explique par la loi de compétence universelle, adoptée en 1996. Elle permet à la France de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves (génocides, tortures, etc.) qui résident sur son sol.

Si le génocide des Tutsi fut le plus rapide de l’histoire – environ un million de morts en cent jours –, il est aussi celui qui a été reconnu le plus rapidement. Dès novembre 1994, quatre mois après la fin des massacres, l’ONU met en place le Tribunal pénal international pour le Rwanda (Tpir). Basé à Arusha, en Tanzanie, le Tpir, qui devrait clore ses travaux en 2014, avait pour mandat de rechercher et juger les principaux responsables présumés du génocide.

Mais qui dit crimes de masse, dit multitude de tueurs. Le Conseil de sécurité des Nations unies a donc donné compétence aux tribunaux nationaux pour juger tout présumé génocidaire réfugié sur son sol.
Si le procès de Pascal Simbikangwa se tient en France, c’est aussi parce que, à ce jour, et contrairement à d’autres pays, la justice française s’est toujours refusée à répondre favorablement aux demandes d’extradition de génocidaires présumés vers Kigali.

Vingt ans 
après les faits

 

Alors que la première plainte déposée en France par des associations de victimes remonte à 1995 et qu’une vingtaine sont à ce jour instruites, il aura fallu près de vingt ans pour amener le premier suspect devant la justice française. Une inertie qui a valu à Paris une condamnation en juin 2004 par la Cour européenne des droits de l’homme. « La France est le vilain petit canard de l’Europe », déplore Patrick Baudouin, président d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme. Dès 2001, Bruxelles juge quatre présumés génocidaires, une première mondiale pour une justice civile nationale hors du Rwanda. Des procès ont ensuite eu lieu au Canada, Finlande, Norvège, Pays-Bas, Suède, États-Unis et en Suisse. « Enfin, la France remplit ses obligations, poursuit Patrick Baudouin. Espérons que ce procès rachètera les erreurs du passé. »

Car, pour beaucoup, cette lenteur de la justice française est la conséquence directe de réticences politiques liées au rôle joué par la France avant et pendant le génocide (lire l’entretien avec Jacques Morel, page 4). Le parquet, qui en a pourtant le droit, n’a ouvert aucune plainte de sa propre initiative. Toutes les poursuites engagées l’ont été après des plaintes déposées par les victimes, qui se sont substituées pendant des années à une justice défaillante (lire le portrait d’Alain et Dafroza Gauthier dans l’Humanité du 29 janvier 2014).
L’installation d’un pôle « crimes contre l’humanité » au palais de justice de Paris, en janvier 2013, a permis la soudaine accélération des dossiers. Depuis, des juges d’instruction ont pu obtenir des commissions rogatoires pour se rendre au Rwanda entendre les témoins.

Le premier d’une longue série ?

 

Pascal Simbikangwa, arrêté à Mayotte en 2008, n’est ni le plus haut responsable rwandais dans les mailles de la justice française, ni celui poursuivi depuis le plus longtemps. Mais, en détention provisoire depuis le 16 avril 2009, il arrive au bout du délai légal de cette incarcération. Il doit donc être jugé ou libéré. Vingt-cinq Rwandais réfugiés dans l’Hexagone sont à ce jour poursuivis par la justice française. D’autres procès devraient donc suivre.

Des audiences 
hors normes

 

Les procès pour génocide et crimes contre l’humanité sont très rares. Le dernier, intenté (par contumace), contre le nazi Aloïs Brunner, remonte à 2001. Avant, il y avait eu Maurice 
Papon en 1998, Paul Touvier en 1994 et Klaus Barbie en 1987.

Décision rarissime, le procès sera aussi filmé. En France, l’enregistrement d’audiences est possible depuis 1985, lorsque cela « présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice ». Depuis, seuls cinq procès ont été filmés, ceux de Klaus Barbie, Paul Touvier, Maurice Papon, la catastrophe AZF et le procès Pinochet (en l’absence des dix-sept responsables de la disparition de quatre Franco-Chiliens sous la dictature). Les enregistrements sont consultables sur dérogation et ne peuvent être diffusés qu’après cinquante ans, sauf décision explicite de la justice.

Pascal Simbikangwa s’est opposé, en vain, à cet enregistrement. Une salle de retransmission en direct sera de même installée au palais de justice, en prévision d’un public trop nombreux pour la salle d’audience.
Initialement prévu pour durer huit semaines, le procès pourrait finalement n’en durer que six. Une longueur qui s’explique par la complexité du dossier, qui compte 21 tomes, le nombre de témoins cités – 53 au total dont 41 par l’accusation – et l’état de santé de l’accusé, paraplégique, qui comparaîtra en fauteuil roulant. Le nombre de jurés supplémentaires devrait être augmenté pour pallier d’éventuelles défections en cours de route. Très attendue, cette audience au long cours devrait être « exemplaire », promettent les parties civiles.

Le CSA épingle un sketch de Canal plus 
 Le CSA a adressé une mise en demeure à Canal Plus pour un sketch parodique sur le génocide au Rwanda, qui, selon lui, portait atteinte à la dignité 
des victimes, malgré son intention humoristique. Lors de son émission 
le Débarquement, du 20 décembre, Canal Plus avait diffusé une séquence intitulée « Rendez-vous en terre inattendue », censée se passer au Rwanda. 
Au cours de celle-ci, un personnage chantait : « Maman est en haut, coupée 
en morceaux, Papa est en bas, il lui manque les bras. » Des « propos (qui) 
sont en eux-mêmes et, quel que soit leur contexte, attentatoires aux personnes frappées par un génocide », selon le CSA.

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