La troisième cour d'assises de Paris a brusquement plongé ce matin
dans l'ultime génocide du XXe siècle, avec l'ouverture du procès de Pascal Simbikangwa,
ancien militaire Hutu de 54 ans, jugé pour complicité de génocide et
complicité de crimes contre l'humanité. Peu avant 10 heures, l'accusé
est entré dans le box vitré, poussé par des gendarmes sur un fauteuil
roulant, avant d'être porté sur une autre chaise roulante qui
l'attendait devant un micro. A la demande du président, l'accusé a
déclaré qu'il s'appelait "Safari Pascal", né le 17 décembre 1959.
"J'étais militaire et j'ai travaillé au service des renseignements"
a-t-il précisé dans un français parfait. Vêtu d'une veste en cuir beige,
crane rasé, l'accusé a ensuite écouté silencieusement - à l'exception
de quelques apartés avec ses avocats - le tirage au sort des jurés, puis
la longue synthèse de l'accusation lue par le président de la Cour.
Six jurés ont été tirés au sort et cinq jurés supplémentaires pour
assister à ce procès hors norme. D'abord par sa durée - au moins six
semaines - mais aussi par les crimes reprochés à l'accusé - Maurice
Papon et Paul Touvier furent en leur temps jugés pour génocides. Cette
audience est une première en France : en vertu de la loi de compétence
universelle, la cour d'assises de Paris juge un rwandais pour des faits
commis il y a vingt ans au Rwanda, à 6000 kilomètres de Paris. Et fait
rarissime, l'audience est filmée à la demande d'une des parties civiles.
Derrière la Cour, les 21 tomes de l'instruction témoignent de la
complexité de ce procès qui devra plonger dans les méandres de
l'histoire du génocide rwandais.
Dans son rapport de synthèse, le président a longuement expliqué le
contexte d'avril 1994, où entre 500 000 et un million de Tutsis et
d'Hutus modérés furent massacrés. D'une voix posée et avec des termes
simples, le président a transporté la cour dans "l'un des plus petits
d'Afrique", où les colons belges avaient institué une politique
discriminatoire en faveur des Tutsis, jugeant ces derniers plus
"évolués". A l'indépendance en 1959, les rapports de force s'inversent
et les Tutsis "deviennent progressivement les ennemis intérieurs".
A la
veille du génocide, les Hutus du Nord et du Sud, auparavant divisés, se
liguent contre les accords d'Arusha, qui prévoient une réintégration des
Tutsis dans la vie politique rwandaise. Face à ce "Hutu power", "le
clivage ethnique devient de plus en plus exacerbé". Les massacres
commencent dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, après l'attentat contre
l'avion du président Habyarimana, attentat qui "demeure à ce jour
toujours non élucidé". Dans les heures qui suivent, des barrages sont
dressés dans les rues de Kigali et les meurtres commencent. Ils touchent
aussi bien les Tutsis que les hutus modérés, favorables aux accords
d'Arusha, précise le président de la Cour, ce qui montre bien d'après
lui que "ce conflit est, à l'origine, purement politique, même s'il
devient ethnique par la suite".
Pascal Simbikangwa est principalement accusé d'avoir fourni des armes et
encouragés les meurtres à ces fameux barrages tenus par les miliciens
hutus, les interahamwe. Cet après-midi et demain, la Cour entendra
Pascal Simbikangwa pour l'examen de sa personnalité. Puis, pendant dix
jours, historiens, experts, journalistes et magistrats viendront
détailler le contexte de ce printemps 1994 où le Rwanda bascula dans
l'horreur.
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