Psychiatre et auteure du Livre noir des violences
sexuelles (Dunod, 2013), Muriel Salmona décrypte les mécanismes de
perpétuation des violences conjugales : des victimes enfermées et une
société qui ne veut pas voir.
Muriel Salmona. Quand on connaît l’impact psycho-traumatique et neurologique des violences extrêmes, ce n’est absolument pas étonnant. L’agresseur prend complètement possession de la personne, par l’intermédiaire des violences et des menaces. Ces violences génèrent un état de survie neuro-psychologique qui vous coupe de toute possibilité d’agir. On aboutit à ce qui a été décrit pour les survivants des camps d’extermination, ceux qu’on appelait « les musulmans » : des personnes coupées du monde, en automatisme total, un peu comme déjà mortes. On arrive assez rapidement à une anesthésie totale : le cortex est totalement dissocié et il n’y a plus de sensations par rapport à la douleur, au froid. Plus rien n’existe. C’est un mode de survie extrême.
Comment expliquez-vous que personne n’ait rien vu, ou voulu voir, de cette situation ?
Muriel Salmona. Le problème avec la dissociation, c’est que l’empathie n’est pas possible. Naturellement, on se cale sur les émotions de l’autre. Et si la personne ne ressent rien, on ne va rien ressentir. C’est comme lorsqu’on passe à côté de SDF en grande détresse, qui vont peut-être mourir dans l’heure, sans s’en préoccuper. Il faut être très vigilant : même quand on est militant pour les droits humains, on peut tolérer des situations injustes de violences extrêmes à partir du moment où elles sont instituées.
Quid des médecins ?
Muriel Salmona. Ces mécanismes sont tellement méconnus que personne n’y pense. Les médecins sont très mal formés, ce n’est jamais présent à leur esprit. En France, en 2014, les étudiants en médecine n’ont toujours pas de formation initiale sur les violences ! Pourtant, les outils scientifiques existent pour les former, mais ça n’intéresse personne. C’est politique. On sous-entend : « Les victimes n’avaient qu’à se protéger, tant pis pour elles. » Le manque de protection des victimes est un scandale de santé publique. Souvent, on demande des comptes à la victime : « Pourquoi n’est-elle pas partie ? Pourquoi n’a-t-elle pas parlé ? » Ce n’est pas à la victime d’avoir honte, comme le lui impose la mise en scène de l’agresseur.
Pourquoi une telle difficulté de la justice à reconnaître les viols conjugaux ?
Muriel Salmona. La notion de « présomption de consentement » n’a été supprimée qu’en 2010 : ce n’est pas parce qu’on est marié qu’on est consentant ! Nous sommes encore dans une société patriarcale archaïque où l’on tolère des zones de non-droit dans le couple. Où l’on pense que le corps d’une femme mariée appartient à son mari. J’ai beaucoup de patientes qui accouchent prématurément à la suite de viols conjugaux et personne ne leur pose de questions, ni ne s’intéresse aux enfants nés de ces viols. Résultat : les viols conjugaux poursuivis en justice sont extrêmement rares.
Si je peux me permettre, il est tout de même assez abusif de dire que les étudiants médecins en "n'ont pas de formation initiale sur les violences".
RépondreSupprimerC'est bien entendu très loin de la réalité, et comment d'ailleurs pourrait il en être autrement ?