lundi 10 février 2014

Un mari tortionnaire aux assises


La femme qui va témoigner ce matin à la cour d’assises d’Aix-en-Provence est une survivante. À entendre le supplice qu’elle a enduré pendant trente-deux ans, Colette R. aurait pu mourir mille fois. Son cadavre aurait alors rejoint les statistiques des violences conjugales en France, selon lesquelles une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint. En 2012, 148 femmes sont ainsi décédées des suites de violences conjugales. Mais Colette a survécu. « Il est extrêmement rare que des femmes victimes de telles violences y survivent et soient encore capables d’en témoigner dans un procès », souligne Laure Ignace, de 
l’Association contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui soutient Colette depuis deux ans.


À la barre, la plaignante, aujourd’hui âgée de soixante-dix ans, devra raconter le pire. L’horreur quotidienne de la vie avec son bourreau, qui comparaît aujourd’hui pour tortures et actes de barbarie. La liste des séquelles de cette vie commune est sans fin : les coups répétés ont entraîné la disparition de ses lèvres, la perte de l’usage de son œil gauche, une édentation quasi complète, une déformation du nez et des oreilles, de multiples fractures, la paralysie d’une corde vocale. Calcifié, un muscle d’un bras a dû faire l’objet d’une ablation. Son bourreau s’est aussi acharné sur son sexe. Outre les viols quotidiens, il a tenté de l’exciser et lui a infligé des infibulations, entre autre sévices.

Après leur rencontre en 1969, Colette et René Schembri s’installent en Centrafrique, où ils se marient. Une petite fille naît en 1971. Les violences commencent pendant la grossesse, elles iront crescendo. Excessivement jaloux, René contrôle tous les faits et gestes de sa femme. Elle qui a travaillé dans un cabinet de notaires en France se retrouve isolée à Bangui et dépendante financièrement de ce mari, professeur dans une école française.

Elle tente de fuir, il la retrouve. Six ans plus tard, elle s’enfuit à nouveau, en France. Il l’enlève en pleine rue, dans un fourgon. Un homme voit la scène et fait un signalement au commissariat. « C’est la seule fois où un témoin va intervenir en trente-deux ans de violences, raconte Laure Ignace, de l’AVFT. Les policiers se sont contentés de convoquer Schembri et de lui dire de ne pas recommencer… » Le couple part ensuite au Gabon, où ils vivront pendant dix-neuf ans. Une deuxième fille naît en 1981. Tous deux travaillent comme professeurs pour l’éducation nationale ; il fait virer ses salaires sur son compte.

Après quelques années au Sénégal, ils reviennent en France en 2000. Le 12 juillet 2002, dans un dernier sursaut, Colette parvient à s’enfuir. Elle met fin à trente-deux années de violences d’une cruauté insoutenable. Il lui faudra encore attendre douze ans de procédure judiciaire pour arriver à ce procès qui s’ouvre aujourd’hui devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence. En 2005, le divorce aux torts exclusifs de son mari est prononcé. Mais Colette ne veut pas porter plainte. Elle réclame simplement de pouvoir récupérer ses biens, notamment les bijoux de sa mère que son ex-mari ne lui a toujours pas restitués.

En 2009, son avocat la convainc de poursuivre son bourreau en justice pour tortures et actes de barbarie. Des faits qui tombent sous le coup d’une prescription de dix ans. Les jurés ne devront donc juger l’accusé que pour les seuls actes commis entre 1999 et 2002, soit trois années sur trente…

Plus incompréhensible encore, les viols conjugaux ne sont pas retenus, alors même que l’instruction parle de « pénétrations sexuelles forcées ». « L’élément de viol n’est pourtant contesté par personne, s’étonne Laure Ignace, de l’AVFT. C’est évident qu’elle n’était pas consentante, puisqu’elle avait été torturée avant. » L’association espère que la cour d’assises qualifiera ces faits pour que René Schembri soit aussi jugé pour viol conjugal. Il encourrait alors la réclusion criminelle à perpétuité, au lieu de trente ans aujourd’hui. Colette a fait de la reconnaissance de ces viols par la justice une bataille « pour toutes les femmes victimes de violences ». On estime à 30 000 le nombre de femmes victimes de viols conjugaux au cours des deux dernières années en France. Parmi elles, seules 2 % ont porté plainte.

Des médecins qui ont soigné sans jamais poser de questions
Le procès devrait permettre aussi de mettre en lumière la responsabilité des médecins qui ont pendant des années soigné Colette sans jamais poser plus de questions à une femme qui soutenait être tombée dans la baignoire ou avoir été attaquée par des inconnus dans la rue. Les huit expertises médicales pratiquées sont sans appel : toutes les plaies sont d’origine traumatique et susceptibles de correspondre à des coups de poing, coups de nerf de bœuf ou d’un autre objet contondant.

Aujourd’hui, Colette, enfin libre, a repris goût à la vie. « Elle est émerveillée par tout », raconte Laure Ignace. Placé en détention provisoire, puis sous bracelet électronique durant deux ans, René Schembri nie les faits, imputant la plupart des blessures à des accidents domestiques.

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