A la quatrième semaine
d’audience du procès de la tempête Xynthia, une question plane sur
l’annexe du tribunal de grande instance des Sables d’Olonne (Vendée) : les élus
de la Faute-sur-mer, et notamment le maire de 1989 à 2014, René
Marratier, sont-ils les seuls responsables de l’inondation de cette
commune qui fit 29 morts en février 2010 ? On leur reproche de ne pas
avoir informé la population des risques de la tempête qu’ils
connaissaient et d’avoir délivré des permis de construire dans des zones
inondables. Poursuivis pour homicides involontaires aggravés et mises
en danger d’autrui, ils risquent cinq ans de prison et 75 000 euros
d’amende. Le maire comparait aux côtés de trois autres prévenus : sa
première adjointe, chargée de l’urbanisme, le fils de cette dernière,
agent immobilier et président de l’association chargée de l’entretien de
la digue, ainsi qu’un agent de la direction départementale de
l’équipement (DDE), à qui l’on reproche de ne pas avoir téléphoné à René
Marratier la veille de la tempête. Un cinquième prévenu, prometteur
immobilier, est décédé pendant le procès.
Auditionné
lundi et mardi par le président du tribunal, René Marratier surjoue le simple garagiste qui n’aurait pas inventé l’eau chaude. «Comment
voulez-vous qu’un petit maire, qui n’a pas l’intelligence requise,
puisse prévoir le niveau d’eau atteint lors de la tempête Xynthia ? Ni
la préfecture, ni les pompiers ne l’avaient prévu.» Pourtant, René
Marratier fut de nombreuses fois averti des risques de submersion marine
qui pesaient sur sa commune. Le président du tribunal, Pascal Almy, l’a
rappelé lundi : en quinze ans, l’État et la préfecture ont alerté le
maire «une quarantaine» de fois, par lettres ou réunions. Malgré ces
alertes, l’élu «freine des quatre fers» sur la mise en place d’un plan
de prévention des risques d’inondations (PPRI), qui mettra douze ans
avant de voir le jour. En 2009, excédée par le comportement
«d’obstruction» du maire, la sous-préfète Béatrice Lagarde lui lancera
même, en pleine réunion, qu’elle espère «qu’il n’y ait pas d’inondation
grave, sinon on nous traiterait d’assassins».
«Qu’est ce que l’État aurait pu faire de plus pour vous sensibiliser à ce risque naturel majeur ?», demande le président à l’élu. «Apporter son aide, répond René Marratier. Nous dire ‘Maintenant y’en a marre, votre commune est en danger, on arrête de jouer’». L’État le pouvait-il ? Oui, répond Jean-Bernard Auby, professeur en droit public à Sciences-Po. «Toutes les décisions des maires sont soumises au contrôle de légalité en préfecture. Le préfet peut saisir le tribunal administratif, si par exemple les permis de construire sont illégaux.» Or, l’État n’en a rien fait.
Entendu à la barre
la semaine dernière, l’ancien préfet de Vendée, Thierry Lataste, muté
quinze jours avant la tempête, a, sans surprise, rejeté en bloc la
possibilité d’une défaillance de ses services. « Plusieurs fois j’ai
insisté auprès des maires sur les obligations légales. En octobre 2009,
le maire de la Faute a demandé un report du dossier (du PPRI - NDLR). Le
comportement de déni du conseil municipal de la Faute était
caractérisé. » Des propos qui font bondir Me Didier Seban, l’avocat de
René Marratier: «Il n’a pas pu bloquer le PPRI puisque ce n’est pas lui
qui décide, mais le préfet ! Il n’a fait aucun recours, il a simplement
été consulté !» Dans son ordonnance de renvoi, le juge d’instruction
Yannick Le Goater estime au contraire, que « l’attitude des élus (de la
Faute) et particulièrement du maire, qui ont privilégié les intérêts de
développement économique de leur commune en favorisant une urbanisation
déraisonnable, a empêché l’élaboration d’un PPRI ».
Or, c’est justement
ce plan qui aurait dû définir les modalités d’urbanisation de la
commune. Comme beaucoup de maires de petites communes, celui de la Faute
avait délégué l’instruction des permis de construire à la DDE. « Des
ingénieurs, des gens compétents, insiste René Marratier à la barre.
J’étais conforté dans mes décisions quand ils me renvoyaient des avis
favorables. Je faisais entièrement confiance aux services de l’État. »
Mais ces « gens compétents » ont avoué devant le tribunal la semaine dernière
qu’ils instruisaient ces permis sans connaître la valeur de la cote de
référence, censée définir la hauteur des habitations dans ces zones
inondables. Des maisons de plain-pied ont donc été construites dans la
cuvette de la Faute, soit en dessous du niveau de la mer. «C’est quand
même assez hallucinant», s’est exclamé le président du tribunal au
moment de l’audition de Stéphane Montfort, ancien chef de service à la
DDE des Sables d’Olonne. Je crois comprendre que personne, au niveau de
votre subdivision, ne savait ce que la prescription signifiait !» Le
maire et son adjointe Françoise Babin sont accusés d’avoir signé quinze
de ces permis, considérés comme illégaux. «Si la DDE avait refusé ne
serait-ce que le premier de ces permis, on n’en serait pas là
aujourd’hui», a assuré hier à l’audience l’ex adjointe à l’urbanisme.
Pourquoi
ces agents de la DDE, dont l’erreur parait aujourd’hui colossale, ne
sont-ils pas sur le banc des prévenus ? «Pour le tribunal, quand il
s’agit de fonctionnaires on parle d’ ‘erreurs’, mais dès que ce sont des
élus, ils sont pénalement responsables, regrette Me Seban. Je ne suis
ni juge, ni procureur, mais nous sommes face à une chaîne de
responsabilités. Je ne vois pas pourquoi on ne met pas en cause le chef
des pompiers, les services de l’État et le préfet. Ce qui m’inquiète,
c’est que si on se contente de dire que René Marratier est un salaud, on
sera passé à côté des aspects pédagogiques de ce procès.» Pour les
parties civiles, cette question est «aujourd’hui hors sujet». «Sur les
permis, la DDE n’a pas été citée parce qu’il n’y avait pas de
responsabilité pénale, explique Me Benoit Denis, qui défend
l’association des victimes des inondations de La Faute-sur-mer. En
revanche, comme tous les maires de France, René Marratier avait la
charge de la prévention des risques d’inondation.»
Cité
par la défense, la semaine dernière, le sénateur (PS) Alain Anziani a
évoqué une «chaîne d’irresponsabilités». «Quelle est celle des élus, de
l’administration? a questionné l’élu. Au fond, j’ai envie de dire
qu’elle est partagée.» Ce n’est visiblement pas l’avis du tribunal. Le
procès doit se terminer le 17 octobre. Le délibéré est attendu le 12
décembre.
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