jeudi 9 octobre 2014

L’État est-il le grand absent du procès Xynthia ?

A la quatrième semaine d’audience du procès de la tempête Xynthia, une question plane sur l’annexe du tribunal de grande instance des Sables d’Olonne (Vendée) : les élus de la Faute-sur-mer, et notamment le maire de 1989 à 2014, René Marratier, sont-ils les seuls responsables de l’inondation de cette commune qui fit 29 morts en février 2010 ? On leur reproche de ne pas avoir informé la population des risques de la tempête qu’ils connaissaient et d’avoir délivré des permis de construire dans des zones inondables. Poursuivis pour homicides involontaires aggravés et mises en danger d’autrui, ils risquent cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Le maire comparait aux côtés de trois autres prévenus : sa première adjointe, chargée de l’urbanisme, le fils de cette dernière, agent immobilier et président de l’association chargée de l’entretien de la digue, ainsi qu’un agent de la direction départementale de l’équipement (DDE), à qui l’on reproche de ne pas avoir téléphoné à René Marratier la veille de la tempête. Un cinquième prévenu, prometteur immobilier, est décédé pendant le procès.


Auditionné lundi et mardi par le président du tribunal, René Marratier surjoue le simple garagiste qui n’aurait pas inventé l’eau chaude.  «Comment voulez-vous qu’un petit maire, qui n’a pas l’intelligence requise, puisse prévoir le niveau d’eau atteint lors de la tempête Xynthia ? Ni la préfecture, ni les pompiers ne l’avaient prévu.» Pourtant, René Marratier fut de nombreuses fois averti des risques de submersion marine qui pesaient sur sa commune. Le président du tribunal, Pascal Almy, l’a rappelé lundi : en quinze ans, l’État et la préfecture ont alerté le maire «une quarantaine» de fois, par lettres ou réunions.  Malgré ces alertes, l’élu «freine des quatre fers» sur la mise en place d’un plan de prévention des risques d’inondations (PPRI), qui mettra douze ans avant de voir le jour. En 2009, excédée par le comportement «d’obstruction» du maire, la sous-préfète Béatrice Lagarde lui lancera même, en pleine réunion, qu’elle espère «qu’il n’y ait pas d’inondation grave, sinon on nous traiterait d’assassins».

«Qu’est ce que l’État aurait pu faire de plus pour vous sensibiliser à ce risque naturel majeur ?», demande le président à l’élu. «Apporter son aide, répond René Marratier. Nous dire ‘Maintenant y’en a marre, votre commune est en danger, on arrête de jouer’». L’État le pouvait-il ? Oui, répond Jean-Bernard Auby, professeur en droit public à Sciences-Po. «Toutes les décisions des maires sont soumises au contrôle de légalité en préfecture. Le préfet peut saisir le tribunal administratif, si par exemple les permis de construire sont illégaux.» Or, l’État n’en a rien fait.

Entendu à la barre la semaine dernière, l’ancien préfet de Vendée, Thierry Lataste, muté quinze jours avant la tempête, a, sans surprise, rejeté en bloc la possibilité d’une défaillance de ses services. « Plusieurs fois j’ai insisté auprès des maires sur les obligations légales. En octobre 2009, le maire de la Faute a demandé un report du dossier (du PPRI - NDLR). Le comportement de déni du conseil municipal de la Faute était caractérisé. » Des propos qui font bondir Me Didier Seban, l’avocat de René Marratier: «Il n’a pas pu bloquer le PPRI puisque ce n’est pas lui qui décide, mais le préfet ! Il n’a fait aucun recours, il a simplement été consulté !» Dans son ordonnance de renvoi, le juge d’instruction Yannick Le Goater estime au contraire, que « l’attitude des élus (de la Faute) et particulièrement du maire, qui ont privilégié les intérêts de développement économique de leur commune en favorisant une urbanisation déraisonnable, a empêché l’élaboration d’un PPRI ». 

Or, c’est justement ce plan qui aurait dû définir les modalités d’urbanisation de la commune. Comme beaucoup de maires de petites communes, celui de la Faute avait délégué l’instruction des permis de construire à la DDE. « Des ingénieurs, des gens compétents, insiste René Marratier à la barre. J’étais conforté dans mes décisions quand ils me renvoyaient des avis favorables. Je faisais entièrement confiance aux services de l’État. » Mais ces « gens compétents » ont avoué devant le tribunal la semaine dernière qu’ils instruisaient ces permis sans connaître la valeur de la cote de référence, censée définir la hauteur des habitations dans ces zones inondables. Des maisons de plain-pied ont donc été construites dans la cuvette de la Faute, soit en dessous du niveau de la mer. «C’est quand même assez hallucinant», s’est exclamé le président du tribunal au moment de l’audition de Stéphane Montfort, ancien chef de service à la DDE des Sables d’Olonne. Je crois comprendre que personne, au niveau de votre subdivision, ne savait ce que la prescription signifiait !» Le maire et son adjointe Françoise Babin sont accusés d’avoir signé quinze de ces permis, considérés comme illégaux. «Si la DDE avait refusé ne serait-ce que le premier de ces permis, on n’en serait pas là aujourd’hui», a assuré hier à l’audience l’ex adjointe à l’urbanisme.

Pourquoi ces agents de la DDE, dont l’erreur parait aujourd’hui colossale, ne sont-ils pas sur le banc des prévenus ? «Pour le tribunal, quand il s’agit de fonctionnaires on parle d’ ‘erreurs’, mais dès que ce sont des élus, ils sont pénalement responsables, regrette Me Seban. Je ne suis ni juge, ni procureur, mais nous sommes face à une chaîne de responsabilités. Je ne vois pas pourquoi on ne met pas en cause le chef des pompiers, les services de l’État et le préfet. Ce qui m’inquiète, c’est que si on se contente de dire que René Marratier est un salaud, on sera passé à côté des aspects pédagogiques de ce procès.» Pour les parties civiles, cette question est «aujourd’hui hors sujet». «Sur les permis, la DDE n’a pas été citée parce qu’il n’y avait pas de responsabilité pénale, explique Me Benoit Denis, qui défend l’association des victimes des inondations de La Faute-sur-mer. En revanche, comme tous les maires de France, René Marratier avait la charge de la prévention des risques d’inondation.»

Cité par la défense, la semaine dernière, le sénateur (PS) Alain Anziani a évoqué une «chaîne d’irresponsabilités». «Quelle est celle des élus, de l’administration? a questionné l’élu. Au fond, j’ai envie de dire qu’elle est partagée.» Ce n’est visiblement pas l’avis du tribunal. Le procès doit se terminer le 17 octobre. Le délibéré est attendu le 12 décembre.

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