vendredi 12 décembre 2014

De l'Häy les roses à Tombouctou, sur le chemin du Jihad

Ils sont cinq hommes à la barre. Des trentenaires en pulls, jeans et baskets. Cheveux coupés ras, barbichettes mal taillées. Engoncés dans leurs doudounes à fourrures. Quatre noirs et un blanc – le « chef ». Manque un sixième. Dont l’ombre plane sur la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Le président l’appelle: «Moussa T. n’est pas là ?» Personne ne répond. Et pour cause. Toujours recherché par un mandat d’arrêt, ce Français aurait été abattu dans la nuit du 20 au 21 mars 2013, par les forces françaises de l’opération Serval lors d’une attaque contre l’aéroport de Tombouctou. Il avait 24 ans. Plusieurs témoins de retour de cette ville du Nord Mali aux mains des islamistes l’avaient décrit paradant dans les rues de la ville, kalachnikov en bandoulière. Membre de la police islamique, il était chargé de faire appliquer la charia.



Autour de Moussa T. s’était constitué, durant l’année 2011, un groupe que la Direction centrale du renseignement intérieur surnommera bientôt «le groupe de l’Haÿ-les-Roses». Dans le règlement qu’ils avaient signé, les six hommes s’engageaient à prendre des cours d’arabe, de prières, d’entraînement physique et à faire leur «Hijra» (migration vers un pays musulman). Le groupe s’était rapidement auto-dissout. «Au bout de deux jours, il n’y avait plus personne pour le jogging», s’amuse Xavier Noguerras, avocat de l’un des prévenus, qui dénonce des poursuites disproportionnées. Ils risquent dix ans de prison pour association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste. «Alors qu’ils n’ont rien fait !», plaide l’avocat.

Ce groupe aurait pu rester inconnu de l’anti-terrorisme si, le 2 août 2012, Cédric L., L’Haÿssien de 27 ans, n’était arrêté sur la route de Niamey (Niger) à Gao (Mali). On retrouve dans sa voiture deux clefs USB contenant des documents sur des groupes terroristes actifs au Mali, deux machettes, quatre couteaux et un masque à gaz. Il porte sur lui ses testaments et le règlement du fameux groupe, qui permet aux enquêteurs d’identifier les autres membres. Lors des perquisitions sera trouvé de nombreux documents jihadistes, dont des discours d’Oussama Ben Laden cachés sur la carte mémoire d’une Playstation.

Mais à la barre, mercredi après-midi, tous nient être des extrémistes. «Je n’aurais jamais créé un groupe pour faire le Jihad», explique, posément, Sofiyan I., chef assumé du groupe. Pacsé, sans enfant, il a étudié l’arabe et l’anglais à la Sorbonne pendant un an avant d’arrêter ses études. Aujourd’hui, il travaille comme commercial pour un supermarché, à 1 000 euros par mois.
- «Vous êtes musulman ?, l’interroge le président du tribunal. Quel courant ?»

 - «Je pratique assidûment, mais je ne suis pas radical, si c’est ça la question.»
- «Et Cédric L., vous diriez qu’il est radical ?»

- «Non, je dirais qu’il est sans science, sans apprentissage. Nous avons un dicton qui dit ‘‘moins on a la science, plus on est extrémiste’’. Il était perdu au niveau religieux. Je le connais très peu. Il a menti et m’a mis en prison.»

Le Cédric L. en question, seul dans le box des prévenus - puisqu’il comparait toujours détenu - a, lui, beaucoup de mal à se défendre. Les yeux baissés la plupart du temps, il esquive, ergote, se contredit.
- Le président : «Après des explications contradictoires, pouvez-vous nous dire pourquoi vous étiez au Niger...
- Je suis parti au Niger à but touristique.
- Passer des vacances ? Au Niger ? C’est donc une nouvelle version... Si vous n’aviez pas été interpellé le 2 août, où seriez vous allé ?
- Au Mali, faire de l’humanitaire.»


Animateur à la ville de Paris, Cédric L., aujourd’hui 29 ans, avait démissionné quelques mois avant son départ. A sa mère, qui s’inquiétait de le voir se radicaliser et se «renfermer sur lui-même», il avait expliqué partir à Dubai, chercher du travail. C’est aussi à cette période qu’il s’était inscrit dans un club de tir. «Pour bénéficier des cours de musculation gratuite», assure le présumé terroriste, qui enchaîne les réponses incongrues. Il avait emporté au Mali des jumelles à visée nocturne ? « Dans un but purement commercial, c’est en plein boom au Niger. » Une paire de menottes ? « Un intermédiaire allait les revendre à l’armée nigérienne. » Et quand le président assure que ce matériel serait plus utile à Aqmi, le jeune homme s’énerve dans son box : « On est dans la psychose là, franchement »... Le réquisitoire et les plaidoiries sont attendus aujourd’hui.

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