René Marratier n’a pas bougé. A la barre, les mains
devant lui, il a écouté sans broncher la sentence d’une extrême sévérité :
quatre ans de prison ferme pour homicides involontaires et mise en danger
d’autrui. A peine a-t-il murmuré un « c’est absurde », avant qu’une
dizaine de caméras et de micros ne se ruent sur lui au sein même de la salle
d’audience.
Deux
mois après le procès des élus de la Faute-sur-mer (Vendée) pour leur
responsabilité dans la mort de 29 personnes en février 2010 lors du passage de
la tempête Xynthia, le tribunal correctionnel des Sables d’Olonne a rendu un
jugement inédit ce matin en condamnant des élus à de la prison ferme. Outre le
maire, sa première adjointe à l’urbanisme, Françoise Babin, 71 ans, également
prometteur immobilier, a été condamnée à deux ans ferme et 75 000 euros d’amende
et son fils, Philippe, agent immobilier de 43 ans, a dix-huit mois de prison. Alain Jacobsoone, fonctionnaire départemental, a quant à luit été relaxé.
Le tribunal, qui est allé au-delà des réquisitions du
ministère public, a justifié la sévérité de ces peines par la « très
grande gravité » des fautes commises par les prévenus. Le jugement de
316 pages est accablant :
« Les conséquences tragiques de la tempête Xynthia ne doivent rien au hasard. (…) Ils ont intentionnellement occulté ce risque (d’inondation, NDLR), pour ne pas détruire la manne du petit coin de paradis, dispensateur de pouvoir et d'argent. Ils ont menti à leurs concitoyens, les ont mis en danger, les ont considérés comme des quantités négligeables, en restant confis dans leurs certitudes d'un autre temps. Ils ont parié que le risque connu ne se réaliserait pas, mais la mise de fonds de ce pari a été l'intégrité physique des habitants de La Faute-sur-Mer. » Répondant aux citriques sur l’absence de l’Etat dans ce procès, le tribunal a jugé l’Etat « irréprochable » : « l'Etat est surtout très impuissant lorsqu'il est confronté à la malveillance d'élus locaux, qui n'ont de cesse de faire obstruction à des démarches d'intérêt général absolument indispensables. »
De l’avis de tous – défense comme parties civiles –
il s’agit là d’une sanction « historique » qui marque un avant et un
après le procès Xynthia.
Sur les bancs des parties civiles, c’est d’abord l’incrédulité
puis le soulagement après cinq semaines
d’audience difficiles émotionnellement. Après l’annonce du jugement, beaucoup
essuient leurs larmes. « Le tribunal a voulu marquer la graviter des
faits, s’est félicité Corinne Lepage, avocate de la majorité des 120 parties
civiles. Ce n’est pas de la faute à pas de chance ou à l’Etat qui a joué son
rôle ». Pour Thierry Berlemont, qui s’est vu mourir avec sa femme et ses
filles le soir de la tempête, c’est un « soulagement » :
« On nous reconnait en tant que victimes. Après cinq ans de douleurs, d’un seul coup, on a été entendus. J’espère que ce jugement permettra de sauver des vies, que les élus vont prendre conscience qu’il ne faut plus construire à outrance sur le littoral. C’est un jugement très sévère, à la hauteur des enjeux dans les années à venir. Xynthia sera le marqueur temporel de la décolonisation du littoral. »
La défense a immédiatement annoncé son intention de
faire appel et dénoncé une « décision délirante » et
« absurde », intervenant après un « procès honteux » :
« Depuis le premier jour, le jugement était déjà fait, dénonce Antonin
Lévy, l’un des avocats de Marratier. Le tribunal n’a pas rendu honneur à la
justice, il a rendu honneur à l’Etat. C’est un tribunal aux ordres qui a
réécrit l’histoire. On se pose même la question de savoir si cette décision est
légale ». Et de citer les précédents, où des élus ont été condamnés à des
peines avec sursis, avant d’être relaxé en appel : le tunnel du mont blanc,
le crash du Concorde. Plus lourde condamnation d'un élu dans la
jurisprudence : le maire de Saint-Laurent-du-Pont (Isère) qui, après l’incendie d’une discothèque qui avait
fait 146 morts en 1970, avait été condamné à dix mois de prison avec sursis…
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