Les quatre « Oui »
ont claqué dans la salle d'audience mais, à part quelques
journalistes, personne n'a encore compris l'ampleur de cette quadruple
affirmation. Il est 20h30 ce soir et, après cinq jours d'audience
et six heures trente de délibéré, la Cour d'assises de Bobigny
vient, contre toute attente, d'acquitter le gardien de la paix Damien
Saboundjian, accusé d'avoir abattu Amine Bentounsi d'une balle dans
le dos, lui concédant la légitime défense.
- L'accusé a t-il volontairement commis, à Noisy-le-Sec le 21 avril 2012, des violences sur la personne d'Amine Bentounsi ?
- Les violences telles qu'elles sont définies à la question n°1 ont-elles entraîné la mort sans intention de la donner ?
- Ces violences volontaires ont-elles été commises dans la fonction de gardien de la paix ?
- L'accusé bénéficie t-il de l'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-5 du code pénal qui définit la légitime défense.
Dans la salle
d'audience, la tension est à son comble. Depuis 19 heures le
public, averti que le verdict était imminent, s'était massé devant
l'entrée de la Cour d'assises qui restait obstinément fermée. Dans
la salle des pas perdus du tribunal de Bobigny, le ton commençait à
monter entre les associations contre les violences policières et les
fonctionnaires de police venus nombreux soutenir leur collègue. A
20h15, les portes s'ouvrent enfin. Dans cette petite salle
d'audience, la présence policière est impressionnante : une
douzaine de CRS aux quatre coins de la salle, rapidement rejoint par
des policiers en civil qui forment un cordon autour de l'accusé. La
salle est archicomble.
Plus
tôt dans la matinée, l’avocat général Loïc Pageot, avait
requis une peine de
cinq ans d'emprisonnement avec sursis assortie de mesures de soins.
« Je ne crois pas à la légitime défense », avait t-il
expliqué dans un très bon réquisitoire, qui n'a visiblement pas su
convaincre. Il avait surtout demandé aux jurés d'interdire
à l'accusé d'exercer définitivement le métier de fonctionnaire de
police car « tout démontre dans son attitude qu'il manque de
discernement ».
Mais Damien Saboundjian est ressorti libre et toujours policier du
tribunal de Bobigny ce soir, malgré les nombreuses invraisemblances
de sa version des faits démontée durant le procès par les témoins,
la partie civile et l'avocat général (lire l'Humanité de lundi
prochain).
Sonnerie.
« La cour, veuillez vous lever ! ». La solennité
des assises reprend ses droits pour quelques secondes. Mais à peine
le président Jean-Marc Hellere a t-il prononcé le mot « acquitte »
que les hurlements fusent. Des cris stridents déchirent la salle
d'audience, puis un « Justice de merde ! » résonne.
Dans le même temps, l'acquitté est rapidement exfiltré par la
demi-douzaine de policiers qui s'étaient groupés autour de lui et
lui font enjamber le box des accusés pour sortir par une porte
latérale. Debout sur les bancs, une partie du public scande :
« La police tue et la justice acquitte ! » ou encore
« Pas de justice, pas de paix ! ».
Il faudra de
nombreuses minutes pour que le calme revienne. Dans un coin de la
salle d'audience, sur son estrade, l'avocat général, range ses
dossiers en silence. Amal Bentounsi, la sœur de la victime qui s'est
battue pour la tenue de ce procès, s'approche de lui, les larmes aux
yeux :
- Je voulais vous remercier monsieur, vous avez essayé...- Je commençais à y croire, moi aussi, lui répond le représentant du ministère public, visiblement ému. Je suis désolée Madame.
Le magistrat va
demander au parquet général de faire appel de l'acquittement.
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