lundi 8 août 2016

« Et qu’on ne vous revoie pas dans un tribunal ! »

Si, en été, les tribunaux réduisent la voilure, ils doivent malgré tout assurer la continuité du service public de la justice. Immersion à la 17e chambre du tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis), où les comparutions immédiates continuent… Bon gré, mal gré.

Salim (1) a un tic, il se caresse frénétiquement le menton – qu’il a plutôt glabre pour un jeune homme de 22 ans. Au milieu des gendarmes, dans le box des prévenus de la 17e chambre du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), il ne passe pas inaperçu : Salim a revêtu une veste de jogging rose fluo, veste qui, on le verra plus tard, causa sa perte. Pour l’instant, ses yeux scrutent, éperdus, la salle d’audience à moitié vide. Son casier est vierge, il comparaît devant un juge pour la première fois.

C’est une habitante de Tremblay qui a donné l’alarme deux jours plus tôt. Alors qu’elle se promenait au petit matin dans les rues de la ville, elle a vu « trois individus » sortir d’un pavillon, les bras chargés, puis monter dans une voiture dont elle a eu la présence d’esprit de noter le numéro de plaque. Aux policiers, elle décrit « un individu portant une veste de couleur rose avec des manches noires ». Et voilà notre apprenti cambrioleur interpellé devant chez lui une heure et demie plus tard, le capot de sa voiture encore chaud. À ­l’intérieur : deux écrans plats, une console de PlayStation 4, deux téléphones portables, des vêtements et un grand tournevis…

Aux enquêteurs, Salim explique avoir suivi deux hommes qu’il connaît « vite fait ». « Je ne suis pas un voleur à la base, mais sous l’effet de l’alcool je les ai suivis. » Son père se dit très étonné, il « ne refuse rien à son fils », ni écran plat, ni PlayStation, ni argent de poche.
« Vous aviez beaucoup bu ? lui demande la juge assesseur.
– Une bouteille de whisky.
– À trois ?!
– Oui.
– Et vous étiez au volant de votre voiture ?!
– … Oui, mais plus tard, vers 4 heures du matin. Je leur ai dit : “Je vous attends dans la voiture”. »
Évidemment, les deux autres ne seront jamais retrouvés. « Quand on part en vacances, on est inquiet de retrouver son domicile cambriolé à cause de gens comme vous ! » tonne la procureure de la République, qui requiert six mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt. « Ce soir-là, il était l’idiot utile de deux voleurs qui se sont joués de lui », modère l’avocat. Le tribunal se retire pour délibérer : huit mois de prison sans mandat de dépôt. Salim touche son menton de plus belle. « Vous n’irez pas en prison, lui explique le juge. Vous serez convoqué pour aménager votre peine. Et qu’on ne vous revoie pas dans un tribunal ! »

Victor (1) est si petit que sa tête dépasse à peine de la vitre du box des prévenus. Né il y a trente-quatre ans en Roumanie, arrivé en France il y a cinq ans, il dort depuis sous la porte de la Chapelle ou dans des ­parkings. Il vit de récup et de mendicité et porte un improbable tee-shirt blanc à fleurs. La veille, il a volé un sac à main à Mme I., devant son domicile, à Saint-Denis. Elle raconte, en pleurs : « Il m’a étranglée en m’arrachant mon sac, puis, comme je me défendais, m’a donné deux coups de poing. » Un médecin lui a donné deux jours d’incapacité totale de travail (ITT). En garde à vue, le prévenu a certifié que Mme I. lui avait « donné 30 euros pour avoir une relation sexuelle ». La victime sursaute sur sa chaise.
« Quelle est votre version des faits aujourd’hui ? demande la juge assesseur à l’interprète.
– Je reconnais les faits (soulagement sur le banc des parties civiles), je les regrette ­profondément. Mais madame a bénéficié d’un médecin et moi non, alors que les gens qui m’ont arrêté m’ont tapé partout. »
Victor présente une plaie au front et son coude est recouvert d’un large pansement. « Pour l’instant on parle de la dame », lui répond la juge.

L’enquête sociale a établi qu’il avait de « lourds problèmes dentaires, avec des pertes de dents » et fait état d’une « nécessité d’accompagnement médico-social soutenu ». La procureure requiert un an d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Le tribunal sera plus « clément » : Victor ressort du tribunal menottes aux poignets pour huit mois de prison.

Ils sont deux désormais dans le box, un grand costaud de 25 ans accompagné d’un gamin de tout juste 18 ans. Ils ont été arrêtés la veille à la gare de Rosny, après avoir arraché le collier en or d’une quinquagénaire.
« Pourquoi avoir fait ça ? interroge le juge.
– … Comme ça…
– C’est terrible, vous ne pouvez pas vous contrôler ? Qui me dit que si vous ressortez libre vous n’allez pas recommencer ? »
Les deux garçons baissent la tête, les mains dans le dos. Silence. Ils sont d’autant plus mal que le juge se met à lire la lettre envoyée au tribunal par la victime : elle n’a pu se rendre à l’audience car elle est atteinte d’une maladie orpheline, la fibromyalgie, et se force chaque jour à marcher pour « empêcher ses muscles de s’atrophier un peu plus ». Ses bijoux en or, elle a « économisé des années » pour se les payer. La procureure embraye : « On se ­demande pourquoi les femmes de Seine-Saint-Denis ne portent plus de bijoux en or… C’est parce qu’elles peuvent tomber sur des gens comme vous ! » Et de requérir un an de prison ferme. Mais les deux gaillards sont mis dans le même sac, où ils n’ont visiblement rien à faire ensemble. Le plus âgé est issu d’une fratrie de neuf enfants, il vit chez sa mère sans emploi. Condamné deux fois, il est sous le coup d’un sursis avec travail d’intérêt général. « La justice vous fait confiance et on vous retrouve là aujourd’hui », soupire le juge. C’est lui qui a arraché le collier. « Le plus jeune n’était pas au courant de son ­intention », défend l’avocat, qui ­demande sa relaxe. Il vit chez ses ­parents, sans emploi.
« Avec votre CAP carreleur, vous n’avez pas trouvé de travail ?
– Je n’ai pas vraiment cherché…
– Ça a le mérite de la franchise.
– Mais je me suis inscrit à Pôle emploi, monsieur le juge. »
Verdict : huit mois de prison pour le plus grand, qui repart menotté devant son jeune ami tellement étonné qu’il s’en couvre la bouche avec les mains. Lui écope de six mois de prison sans mandat de dépôt. Il ne passera pas par la case prison.

Adama (1), 24 ans, balaie la salle d’audience d’un regard inquiet. Il a été arrêté deux jours auparavant après, explique la juge assesseur, un « véritable rodéo », une course-poursuite « édifiante ». À 5 h 40 du matin, à La Courneuve, il est repéré par les policiers alors qu’il grille un feu rouge. Il en grillera huit autres avant d’être interpellé, sans compter les rues prises à contresens et les limitations de vitesse non respectées…
« J’avais passé une dure semaine de boulot, tente Adama.
– Non, non, ne divaguez pas ! l’interrompt la juge assesseur. Et la route nationale à contresens ?
– J’ai paniqué, j’avais bu…
– Vous avez un problème avec l’alcool, semble-t-il.
– Oui…
– Votre employeur n’a pas souhaité poursuivre avec vous, pourquoi ?
– J’étais en intérim, je devais reprendre hier, mais comme j’étais en garde à vue… »
La procureure requiert douze mois dont six de sursis avec mise à l’épreuve et une obligation de soins. Il sera condamné à dix mois de prison dont six mois de sursis.
Le président du tribunal : « Vous allez ressortir libre ce soir. »
Adama : « Merci, hein…
– On vous fait confiance, ne recommencez pas.
– Non, non. »
Il est 18 heures, la salle d’audience s’est presque entièrement vidée. « Il en reste un, je l’entends monter les escaliers », lance un gendarme. Moussa (1), 30 ans, jean et tee-shirt, entre dans le box, un bras en écharpe. Comme à tous ses prédécesseurs, le juge demande : « Souhaitez-vous être jugé aujourd’hui ? » Réponse incompréhensible.
« Est-ce que vous comprenez ce que je dis ?
– Un petit peu.
– Vous voulez être jugé tout de suite ? »
Réponse incompréhensible. « Il dit qu’il ne veut pas retourner en Afrique », traduit la juge assesseur. « Bon, je vais parler doucement, ­explique le juge. Si vous ne comprenez pas, interrompez-moi, sinon c’est très grave. »

Deux jours auparavant, Moussa, sous le coup d’une procédure d’expulsion, a mordu le bras d’un fonctionnaire de police qui le ceinturait dans un avion en partance pour la Mauritanie. Le juge passe des photos de l’« épanchement de sang sous-cutané » du policier, qui a reçu deux jours d’ITT et déposé plainte.
« Vous-même avez été blessé dans l’interpellation ?
– Oui.
– Vous avez dit que vous vouliez bien quitter la France, mais pas dans ces conditions-là. Mais si on ne fait pas ça, vous ne voulez pas partir tout seul comme un grand. Je comprends, ça n’est pas agréable, il y a des sangles et une camisole, mais il faut bien que ça parte, sinon il n’y a plus de loi ! Pourquoi avez-vous mordu le policier ?
– J’ai crié, j’ai dit non et il a mis son bras dans ma bouche pour que j’arrête de crier. »
Moussa est arrivé en France en 2012, il a un contrat à durée indéterminée à temps plein dans le nettoyage pour 600 euros par mois. « Vous êtes quelqu’un dont on n’entend pas parler », note le juge. « Je ne veux pas rester ici, lance Moussa, je pars cette année ou l’année prochaine, je veux devenir couturier chez moi. » « On ne peut pas lui faire confiance pour repartir dans son pays, tranche la procureure. Ce n’est pas demain qu’il faut partir, c’est aujourd’hui. » Elle requiert un mois de prison et une interdiction du territoire français (ITF) de deux ans. Ce sera quatre mois de prison avec du sursis simple et une ITF de deux ans. « Vous n’allez pas en prison, mais il faut que vous quittiez la France, ­explique le juge. Sinon vous avez quatre mois de prison sur la tête. » L’audience est levée.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

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