Est-ce de la maladresse ou un
stratagème ? Devant la cour d'assises spécialement composée
qui le juge depuis lundi pour complicité des crimes de son frère,
Abdelkader Merah esquive les questions qui fâchent avec une
impressionnante maîtrise de lui-même. L'homme de 35 ans, tout de
blanc vêtu, barbe fournie et cheveux longs attachés, est aidé en
cela par l'organisation du président de la cour qui a séparé
l'examen de sa personnalité et celui des « questions
religieuses ». Au grand dam de l'avocat de l'accusé, Eric
Dupond-Moretti, qui peste : « On fait de la religion un
élément à charge ! ». Mais Abdelkader Merah s'adapte,
lui, parfaitement aux circonstances. A une avocate qui lui demande
s'il se sent concerné par les lois de la République ou s'il refuse,
comme il l'a dit lors de l'instruction, « la justice des
hommes », il lance un : « Ce sont des questions
religieuses que nous verrons plus tard ». Parfois à la limite
de l'arrogance, il surfe en permanence sur l’ambiguïté. Aux
questions insistantes des parties civiles, il finit par lâcher :
« J'aimerai mon petit frère toute ma vie, mais bien sûr je
condamne les actes qu'il a commis ». Mais lorsqu'un avocat lui
demande s'il s'est réjouit des attentats du 11 septembre 2001 aux
États-Unis, il invoque son droit au silence
Le silence a été dans la famille Merah un élément central, presque constitutif. Au président, qui tente de démêler l'histoire et les relations familiales, Abdelkader lance, depuis le box en verre des accusés : « Il ne faut pas comparer votre mode de vie et le nôtre. La culture en Algérie, c'est que les parents ne parlent pas de leur vie, ils ne montrent pas leur amour. Mon père, il ne parlait pas, mais juste par son regard, je voyais qu'il y avait de l'amour. » L'enfance des Merah est marquée par le divorce des parents en novembre 1993. Abdelkader a onze ans, Mohamed cinq. « Avant, c'était parfait, après chaotique », résume Abdelkader avec son accent du sud-ouest. Ses parents ont quitté l'Algérie quelques années plus tôt – il est le troisième d'une fratrie de cinq, le premier né en France – pour s'installer dans le quartier des Izards, à Toulouse. Son père travaille dans une fonderie, sa mère fait des ménages.
« Antisocial, hyperactif,
insolent, grossier, instable »
Après la séparation houleuse des
parents (la mère s'est réfugiée un temps avec ses enfants dans un
foyer de femmes battues, Abdelkader dit n'avoir rien vu de ces
violences), la famille se brise. « Il n'y avait plus de code »,
dit Abdelkader. « A partir du moment où le père, pilier de la
famille, s'en va, il y a déstabilisation », traduit l'avocate
générale. Le frère aîné, Abdelghani Merah (qui dénonce
régulièrement sur les plateaux télé l'antisémitisme et la
« haine » de sa famille) « tombe dans la
délinquance et l'alcool » et entraîne Abdelkader avec lui.
« A onze ans, je commençais à boire de l'alcool avec lui,
fumer du shit, voler. C'était mon modèle, je faisais tout comme
lui. Il me frappait mais j'avais un amour sans limite pour lui. »
La mère, seule et dépassée, réclame de l'aide. Déclarés en
danger, Abdelkader et Mohamed sont placés en foyers. L’adolescence
de l'accusé se lit sur les rapports de l'aide sociale à l'enfance :
un « enfant en grand désarroi, qui pleure souvent », un
garçon « décidé, intelligent » qui « voit le
monde comme un ring où il faut se battre », « la mère
n'a aucune autorité et subit les caprices de son fils ». Pour
un psychologue, il est « antisocial, hyperactif, insolent,
grossier, instable ». Les éducateurs notent un « malaise
par rapport à l'absence du père et une autorité maternelle jamais
posée ». Il est « exemplaire la semaine », mais
« alcoolique et violent le week-end » quand il rentre
chez sa mère, qu'il frappe. « Je n'ai jamais touché ma mère,
répond posément l'accusé. Ma mère à mes yeux, elle est parfaite.
Elle a donné toute sa vie pour nous. »
Les relations familiales sont d'une
violence extrême. Son frère Mohamed ? « Au lieu de
l'engueuler, je lui tapais dessus », reconnaît l'accusé. En
2003, il poignarde son grand frère Abdelghani de sept coups de
couteau. « Il ne supportait pas ma femme française d'origine
juive », déclare son frère aîné à l'époque. « On
s'entendait très bien au contraire », se défend aujourd'hui
Abdelkader. Il ne parle plus non plus à sa sœur Souad, depuis neuf
ans, lorsqu'elle s'est mariée sans l'inviter, « un manque de
respect ».
« Ou est-elle aujourd'hui ?, interroge le président.- En Algérie.
- Vous êtes sur ?- Vous aussi vous êtes sûr, tout le monde le sait. »
En 2014, Souad Merah avait tenté de
rejoindre la Syrie avec ses enfants.
Surnommé le « grand Ben Ben »
pour Ben Laden
Dans le quartier des Izards, Abdelkader
Merah est surnommé « le grand Ben Ben » et Mohamed
« petit Ben Ben ». « Au moment des attaques du
World trade center, j'avais vingt ans, je n'étais pas musulman, une
grande partie du quartier était euphorique et moi aussi je criais
'Vive Ben Laden !' », avait-il expliqué pendant
l'instruction. A l'audience, il tente de minimiser : « A une
autre époque, on aurait crié Vive Mesrine ». Puis, à
l'avocate générale qui insiste : « Certains disent que
le 11 septembre, c'est un complot, je ne sais pas si Ben Laden existe
ou pas ».
A 17 ans, Abdelkader Merah obtient son
CAP de peintre en bâtiment, travaille comme intérimaire. En 2006,
il se marie « religieusement » (par téléphone) avec une
« fille du quartier ». On le surnomme alors « Jack
Daniels » pour son addiction au whisky. Il se « convertit
à l'Islam », part s'installer à l'écart de la ville, pour
fuir « les pêchés » et ne « vole plus un
bonbon ». A part, avoue t-il penaud, quelques fausses factures
pour financer des prêts à la consommation, un « dérapage
dans son parcours religieux ». Sinon, il n'écoute pas de
musique, n'utilise pas internet, n'a pas de portable. Il lit. Une
«passion ». Dévore aussi bien des « livres religieux »
que ceux « de gangsters ». En ce moment, il lit « Le
pull-over rouge », contre-enquête de Gilles Perrault sur le
condamné à mort Christian Ranucci.
En détention depuis cinq ans et six
mois, Abdelkader Merah est à l'isolement depuis cinq ans. Pour le
protéger de « risques sérieux de représailles », mais
aussi à cause de son « prosélytisme », selon
l'administration pénitentiaire. « Je ne connaissais pas ce
mot, j'ai regardé la définition : imposer des idées. Mais
l'islam ne s'impose pas, il se transmet. Moi je m'adapte simplement
aux conversations des personnes. » L'interrogatoire sur
l'aspect religieux de sa personnalité est prévu pour le vendredi 13
octobre.
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